Muraille d’échines

greek crisis

Carnet de notes d’un ethnologue en Grèce
Une analyse sociale journalière de la crise grecque

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Sur les murs de la ville, les enfants d’Athéna crayonnent leur espoir de la voir un jour se remettre. La ville, comme peut-être la déesse. En attendant… les mentalités athéniennes décampent de jour en jour. À l’aune de la nouvelle guerre… verbale mais essentiellement économique entre la Grèce et l’Allemagne, elles quittent alors les derniers chantiers battus du vernis européiste.

Vue… d’en bas, la couleur grecque devient de plus en plus locale, tandis que d’en haut, le gouvernement SYRIZA/ANEL rouvre enfin certains dossiers très gênants pour l’élite allemande et autant pour ses “amis” de la “gouvernance” européiste.

Les masques ne tiennent plus quoi qu’il advienne politiquement, à court ou à moyen terme. Les trois petits artisans athéniens récemment rencontrés au hasard des cafés sont bien unanimes sur ce point: “Maintenant, c’est à dire depuis SYRIZA au pouvoir, nous avons les preuves. L’Europe c’est une truanderie et l’Allemagne y joue la chef. Ils veulent nous exterminer lentement mais sûrement par l’économie. Il faut changer de cap, leur dire carrément m…”

Le gouvernement SYRIZA/ANEL reprend en effet le triple dossier historique: les réparations de guerre proprement dites, le remboursement du prêt forcé “consenti” par la Grèce à l’Allemagne pendant l’occupation, et enfin, les dédommagements des familles des victimes du massacre emblématique de Dístomo. Rappelons qu’à cet Oradour-sur-Glane grec, le 10 juin 1944, les troupes Waffen-SS de la 4e division SS Polizei Panzergrenadier, sous le commandement du SS-Hauptsturmführer Fritz Lautenbach, firent… du porte à porte pour massacrer les habitants. Un total de 218 hommes, femmes et enfants fut tué. Selon les survivants, les forces SS ont tué les bébés à coups de baïonnette dans leurs berceaux, poignardé les femmes enceintes et décapité le prêtre du village.

Après le massacre, un agent de la Geheime Feldpolizei qui accompagnait les forces allemandes informa les autorités que, contrairement au rapport officiel de Lautenbach, les troupes allemandes avaient été attaquées à plusieurs kilomètres de Dístomo et n’avaient pas subi de tir “de mortiers, de mitrailleuses et de fusils depuis la direction de Dístomo”.

Les familles des victimes s’appuyant sur une décision de justice, validée par la Cour suprême grecque, qui leur accorde 28 millions d’euros de dommages et intérêts attendent toujours l’exécution de cette décision. Cette semaine, le ministre de la Justice a laissé entendre qu’il était “prêt” à faire appliquer cette décision, autorisant la saisie de biens immobiliers propriété de l’État allemand. Et à la Une quotidien “Avgí” (de SYRIZA) du 11 mars on meut alors comprendre “Message de Tsípras: L’Allemagne a aussi des obligations”.

Rappelons comme le fait l’historien Mark Mazower, qu’à la Libération à l’automne 1944, plus de mille bourgades ont été totalement détruites, il y a eu alors de dizaines… d’Oradours, un million de Grecs avaient vu leurs maisons vidées et ensuite brûlées par les soldats de l’Allemagne nazie, d’après un rapport de la Croix Rouge à l’époque, la spoliation et la destruction des leurs biens a concerné 40% de la population, (“Dans la Grèce d’Hitler: 1941-1944”).

Comme je l’ai expliqué en accordant une interview cette semaine aux journalistes de la chaîne ARTE (le thème de leur reportage porte sur les bénéfices et les scandales se référant aux entreprises allemandes en Grèce depuis le temps de la Troïka), tout ce contexte historique et mémoriel ne serait pas… réanimé de la sorte, en dehors du contexte géopolitique, de la dette et de l’euro, sous la maîtrise… très précise des élites politiques de l’Allemagne actuelle. Après c’est l’inconnue, et enfin, jeudi 12 mars, la Grèce par la voie diplomatique, vient officiellement de protester pour les propos insultants tenus par Wolfgang Schäuble à l’égard des politiques grecques. Du côté allemand l’argument présenté en réponse, fait état d’un problème de traduction… et ainsi de suite.

En réalité, il n’y a plus besoin de (trop) de traduction pour se faire la part des choses dans les relations entre les deux pays. “Pour finir par dire la vérité, il vous faut arriver à ne plus rien attendre” peut-on lire sur un mur d’Athènes, la phrase est du poète Yannis Rítsos.

C’est ainsi qu’il nous arrive à ne plus rien attendre d’apaisant et des relations entre la Grèce et l’Allemagne, enfermés comme elles sont dans l’univers irréversiblement concentrationnaire de l’UE. Certes, la rue grecque ne fait pas de distinction forcément, entre les élites qui gouvernent l’Allemagne et son peuple, cela-dit, le ras-le-bol grec même caricaturé parfois à souhait par le presse mainstream en Europe, a toutefois le mérite de poser (aussi) la principale question à résoudre (au sens propre et figuré), à savoir, l’UE elle-même. Ainsi, certains constats depuis le terrain des correspondants aux yeux réellement grand-ouverts, semblent alors évidents, pour le quotidien “Libération” par exemple (du 11 mars).

“Aujourd’hui, après un mois et demi de négociations entre Athènes et ses partenaires, emmenés par l’Allemagne, c’est une petite phrase assassine qui fait florès depuis quelques jours sur les réseaux sociaux grecs: Si les Allemands ne veulent pas nous dédommager pour la Seconde Guerre mondiale, ils n’ont qu’à nous verser un acompte sur les dédommagements pour la troisième.”

Le comité scientifique du Bundestag confirme qu’Athènes n’a jamais légalement renoncé aux réparations, qu’elle est en droit de les réclamer et qu’au moins sur la question du “prêt forcé”, la position allemande est indéfendable.

Et déjà, les responsables en Allemagne du parti Die Linke (Gauche), se sont publiquement exprimés récemment pour dire que la Grèce a raison de déclamer des dédommagements s’agissant en tout cas du “prêt forcé”.

Sauf que loin des réparations allemandes, nos autres vies, souvent mises entre parenthèses errent dans les rues, loin des préoccupations géopolitiques. Ces dernières finissent ainsi… par être paraphrasées ici ou là, lorsque par exemple la question du retour à la drachme redevient d’actualité… chez les antiquaires et brocanteurs du quartier de Monastiráki, tous nous disent qu’il y a comme un soudain engouement… politique, pour certaines vielles pièces.

Sauf que sans aucune paraphrase possible, la paupérisation de la population poursuit pour autant dans son inexorable… destin. Je remarque que les réfectoires de l’Église, tout comme ceux des municipalités sont plus fréquentés que jamais, j’ai même assisté mercredi dernier à une rixe très violente entre… ces concitoyens encore plus déclassés que nous, c’était devant un réfectoire de l’Église dans le quartier de Metaxourgeío.

Suivant ce même ordre d’idées… mortes, dans les quartiers du bric-à-brac athénien des retraités (et pas uniquement), fouillent avec régularité les bennes à ordures. Les petits et moyens commerçants restants quant à eux, se disent terriblement affectés par les incertitudes accrues des dix dernières semaines. “C’est le coup de grâce. Les clients se font très rares car tout le monde attend… l’inconnu”, me disait un artisan-réparateur du centre-ville. Le contexte actuel se précise sans se stabiliser, tout le monde réalise alors que l’âpreté des négociations à Bruxelles, tout comme l’urgence des mesures annoncées par le gouvernement pour faire face à la crise humanitaire, ne feront pas forcement relever le pays demain matin.

Les premières affiches critiques de la part de certains mouvements de gauche, ont fait ainsi leur apparition sur les murs d’Athènes. “SYRIZA mauvaise pastèque”, peut-on alors lire dans une telle affiche, elle reproduit également ce poème de Dionýsios Solomós (1798 – 1857), poète particulièrement connu pour avoir écrit le poème Hymne à la liberté, (l’hymne national grec) en 1823: “Mon pauvre peuple bien aimé, tu crois si facilement les promesses et tu es toujours trahi”.

Les Grecs espérant encore, soutiennent leur gouvernement, cela-dit tout en adoptant un regard moins ingénu, voire critique, sur le temps politique qui passe et qui les… laisse un peu derrière la porte du futur, supposé réellement existant.

Ce qui finalement agace déjà parfois, tient de l’imagerie… remarquable d’un certain lifestyle, concernant Yanis Varoufákis. Le ministre des Finances ne manque d’ailleurs pas une occasion de paraître de la sorte, et alors ensuite, tout circule sur internet, ses derniers clichés réalisés pour Paris Match, par exemple.

Plus sérieusement cependant, ses dernières déclarations depuis l’Italie (13 mars): “Pour établir la confiance avec les Européens, nous sommes prêt à retarder certains engagements électoraux, si nécessaire” ne font certainement pas trop rire du côté de l’aile gauche de SYRIZA.

Comme parfois dans le cinéma, les écrans de la modernité grecque et mondiale s’assombrissent. Et pour établir la confiance… du moins avec les routards, nos bistrots s’engagent ainsi à tenir leurs promesses de la saison précédente, à savoir, proposer de la bière à deux euros aux touristes pressentis au pays qui attend alors si désespérément son été.

Athènes entre soleil et nuages. Les températures ont encore chuté depuis jeudi et le manque de chauffage redevient notre sujet favori dans les discussions, avant l’Allemagne et avant même Yanis Varoufákis.

En Crète récemment, un retraité s’est pendu sous un olivier. Il avait 81 ans et on lui avait volé le montant… absolument exact de sa maigre retraite, sauf que la nouvelle n’a pas vraiment fait la Une de toute la presse.

Sur les murs de la ville les enfants d’Athéna crayonnent leur espoir de la voir un jour se remettre, tandis que devant une certaine muraille… d’échines dans nos boucheries, êtres humains comme animaux adespotes (sans maîtres) réclament des restes. Après dépeçage et écorchement bien évidemment. Conflagration sociale… sans réparations.

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