Carnet de notes d’un ethnologue en Grèce Une analyse sociale journalière de la crise grecque

greek crisis
vendredi 20 février 2015

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Une petite neige avait couvert l’Acropole jeudi matin. “Temps de Bruxelles et temps de Berlin” plaisantaient alors les Athéniens à l’heure du premier café. Le soleil étant de retour vendredi 20 février, les négociations lors de la réunion de l’Eurogroupe Bruxelles se poursuivront et… le froid persiste. Les dernières déclarations de l’Allemagne officielle, colériques et irrationnelles, prouvent – à mon avis – l’urgence à venir: défaire l’UE et ainsi… offrir à l’Allemagne sa juste place à la géopolitique du monde actuel. Et cela même, indépendamment des résultats “grecs” à court ou à moyen terme.

“Le gouvernement grec a accepté dans son courrier la ‘supervision’ de l’Union européenne et du FMI pendant les six mois de ‘extension’ qu’il demande, sans toutefois faire figurer les dernières mesures qui lui étaient attachées. Cela va faire l’objet des discussions encore à venir, le résultat dépendant du soutien qu’il recueillera au sein de l’Eurogroupe”, écrit François Leclerc sur le blog de Paul Jorion.

Jacques Sapir de son côté, note que “nous en sommes dès aujourd’hui au cœur du problème. L’Allemagne fait de la Troïka et de l’austérité, l’alpha et l’oméga de sa politique, car ces mesures lui assurent sa prédominance en Europe. En faisant des concessions de pure forme, le gouvernement grec démasque l’attitude allemande et reporte sur l’Allemagne la responsabilité d’un conflit. Car, il est peu probable que l’Allemagne cède sur ce point. En fait, le gouvernement Grec vient de tendre un piège à l’Allemagne. Les concessions de pure forme qu’il fait mettent l’accent sur la rigidité allemande”.

Ce qu’en Grèce nous réalisons fort bien quant à la dimension essentiellement géopolitique et autant antisociale des orientations “techniques” de cette UE finissante et dangereuse, demeure (en partie) occulté par les élites et par les medias d’ailleurs, plus jusqu’au-boutistes que jamais depuis 1945.

Je constate hélas, que la France officielle fait autant subir à sa population cette même politique, cela aux termes d’une urgence méta-démocratique de type mémorandaire (loi Macron). Ce n’est pas par hasard que le travail dominical, arme de guerre chez les doctrinaires du totalitarisme financieriste, appartient à la fois au mémorandum des… Grecs, à la loi Macron et aux délires analogues que cette même caste tente à imposer au peuple allemand et à tous les autres.

Cependant, ce temps (historique) des élites serait en effet compté. Comme autant celui de la Gauche dans un sens assez analogue. Car nos gauches déjà en Europe (SYRIZA compris), doivent admettre que le chewing-gum européiste qu’elles ruminent depuis tant de décennies est bon à cracher. Tout simplement. Sinon, elles termineront étouffées… comme elles finiront tout court.

Jacques Sapir présente à l’occasion au lectorat français, le livre signé de Costas Lapavítsas et Heiner Flassbeck, “Against the Troika. Crisis and Austerity in the Eurozone” publié en anglais. Cette analyse montre bien la question centrale, tant pour la politique allemande que pour l’Europe du “régime de la Troïka”. Costas Lapavítsas, professeur d’économie qui enseigne à Londres à la SOAS et élu sur la liste de SYRIZA aux élections du 25 janvier, est déjà connu pour la clarté de son analyse. J’ai eu l’occasion d’échanger avec lui, notamment lors de notre rencontre durant un colloque organisé à Rome en 2013 portant justement sur l’Europe après l’euro !

Jacques Sapir rappelle que “Heiner Flassbeck est un économiste allemand qui a été vice-ministre des Finances et 1998-1999 puis a dirigé le centre des recherches économiques de la CNUCED (UNCTAD en anglais) à Genève jusqu’en 2012. Ce livre contient de plus des préfaces d’Oskar Lafontaine, ex-dirigeant du SPD et fondateur de Die Linke et de Paul Mason, ainsi qu’une postface d’Alberto Garzon Espinosa”. “Il devient impossible” – poursuit-il – “de dire que les réflexions qui alimentent le gouvernement grec sont issues de ‘marginaux’, que ce soit d’un point de vue académique ou même institutionnel”.

“Ce livre est une très importante contribution à l’analyse de l’Euro-austérité engendrée par la monnaie unique et voulue par l’Allemagne car elle en tire un profit immense. Cette politique est décrite comme du néo-mercantilisme. Elle engendre, de fait, des pressions déflationnistes extrêmement puissantes sur l’ensemble des économies de la zone Euro. Ce livre présente en plusieurs chapitres un tableau complet tant de l’origine de l’Euro-austérité, que de ses effets, que ce soit sur l’économie européenne mais aussi sur l’économie mondiale. Il permet de comprendre les effets asymétriques de la politique d’austérité en Allemagne et dans les autres pays. (…) Ce livre insiste bien sur les conséquences désastreuses que l’Euro pourrait avoir sur l’Europe. Ce point est particulièrement mis en avant par Oskar Lafontaine, qui fut l’un des ‘pères’ de l’Euro et qui, dans sa préface, insiste sur le fait que l’Euro porte en lui la mort de l’Europe”.

À sa manière, le Prix Nobel de l’économie Paul Krugman, publie dans “The New York Times” son analyse sous un titre évocateur: “Weimar on the Aegean”. Il compare la situation en Grèce d’aujourd’hui à celle des moments de Weimar, et il note que la récession et la catastrophe financière que la Grèce éprouve en ce moment est similaire à celle alors endurée par l’Allemagne après la Première Guerre mondiale.

Pour Paul Krugman, les dirigeants européens doivent d’après lui, retenir les bonnes leçons de l’histoire. Et, une fois encore, il souligne que la dette grecque, comme elle ne peut pas être remboursée, autant la Grèce, ne peut plus poursuivre sous un tel régime, celui de l’austérité étouffante. Aux tristes nouvelles du jour, on apprend le décès d’un adolescent sur l’île de Skiáthos, il n’a pas pu être transféré à temps à l’hôpital, car les chauffeurs ambulanciers manquent cruellement, suite aux licenciements imposés par le mémorandum et la Troïka (radio Real-FM, le 20 février). Sa politique tuera encore pour longtemps et le retour… à l’humanité sera long, pour SYRIZA et surtout pour le plus grand nombre des… intéressés.

Eurogroupe ou pas, nos sans-abri errent toujours en ville avec le retour du soleil, histoire de trouver un recoin moins hostile par ce temps, météorologique comme géopolitique. Il y a aussi certes, les salles ouvertes et les centres d’accueil, cependant, nombreux sont ceux qui n’ont pas quitté les trottoirs. Nouvelle Grèce et en même temps, nouveau Président de la République depuis mercredi (18 février), élu par l’Assemblée avec une large majorité.

Alexis Tsípras a donc finalement choisi Prokópis Pavlópoulos, un député issu des rangs de la Nouvelle démocratie, mais ayant pris ses distances depuis plusieurs mois vis-à-vis de Samaras et face à la Troïka, pour remplacer le président sortant Károlos Papoúlias. Une certaine presse historiquement mainstream à l’instar de “Ta Néa”, invente son jeu de mots, évoquant cette… “Symphonie de Prokofiev interprétée par l’orchestre SYRIZA avec la participation de la chorale d’enfants du parti ANEL”, (celui des Grecs Indépendants et de Panos Kamménos).

Le noyau sociologique de SYRIZA historique, autrement-dit, celui issu de la… diachronie pendant laquelle le parti d’Alexis Tsípras se contentait d’un petit 4% des suffrages exprimés, ce noyau des anciens a certes protesté contre ce choix car “l’occasion était alors unique pour enfin faire élire un Président de la République issu des rangs de la Gauche”. Sauf que le chef de la Gauche radicale réalise mieux que quiconque toute la teneur de l’époque et des urgences… de la Grèce, qui sont finalement les urgences de SYRIZA… très synchronique.

Après-tout, le gouvernement grec est issu d’une coalition entre la gauche et la droite sur la base d’un programme anti-mémorandum, de justice sociale à construire, de digité à retrouver et enfin, d’un patriotisme défensif largement partagé, suite à l’agression que la société grecque se voit subir depuis 2010.

Ses premières mesures annoncées sont effectivement populaires au sens plein du terme, bien qu’insuffisantes. Cependant, la (petite) rupture avec le financierisme et la théocratie ultralibérale semble évidente, et c’est immanquablement ce point qui irrite les élites qui dirigent l’Allemagne en ce moment, cette même piètre école de pensée qu’elle impose aux Français un mémorandum à peine dissimulé, à la manière… et à la lettre de la loi Macron par exemple, comme je viens de l’évoquer aussi plus haut.

Au “Quotidien des Rédacteurs” (18 février), le gros titre évoque ce terrain des négociations à Bruxelles, alors miné par l’Allemagne tandis que le commun des mortels à Athènes soutien largement le gouvernement SYRIZA/ANEL… et en même temps, il récupère ses dernières billes depuis les banques. Belle atmosphère et encore… très Belle époque ; d’après la presse grecque, entre la semaine des élections et ces derniers jours, quinze à vingt milliards d’euros auraient été retirés ainsi par les (derniers) détenteurs des ultimes richesses.

Une réunion non prévue initialement a eu lieu (jeudi 19 février) entre Yannis Dragasákis, économiste et Vice-président du gouvernement et Yannis Stournáras, Gouverneur de la Banque de Grèce et ancien ministre des Finances sous les gouvernements troïkanisés. Leurs déclarations ont été convenues donc rassurantes ; “les guichets automatiques seront remplis et cela sans problème” a précisé Yannis Stournáras. Dans la soirée, de nombreux athéniens ont bien interprété ces déclarations officielles en visitant les guichets automatiques de leur quartier et parfois même du quartier voisin. Le voisin Chrístos fait ses provisions auprès de l’aide alimentaire, ne visite plus les guichets automatiques et pourtant ce dernier temps, il jubile. “Qu’ils aillent se faire f… et leur euro avec.”

C’est peut-être pour cette raison que ce jeudi soir, Angela Merkel s’est entretenue au téléphone avec Alexis Tsípras, tout comme François Hollande. Rien n’a réellement filtré, c’est (pour l’instant) normal. Les élites qui gouvernent l’Allemagne semblent ne pas vouloir comprendre que notre histoire du moment est, toute proportion gardée, la répétition de la leur… à la manière d’une farce alors tragique. Les mentalités grecques en sont prêtes (pour la farce et pour la tragédie de la dignité) en tout cas. Représentations du moment historiquement acquises, résumées par une déclaration récente du ministre de la Défense Panos Kamménos (chef du parti des Grecs Indépendants): “Si cela ne réussit pas (les négociations à Bruxelles), nous sommes prêts à tout faire sauter”

Nos radios rappellent que seulement 6% à 10% des sommes prêtées au pays par la Troïka… arrivent effectivement ici. Pour l’énorme reste, les bénéficiaires sont ces usuriers internationaux (dont les banques allemandes et françaises qui font porter ensuite le fardeau à leurs gouvernements après… engraissement) et au bout de la chaîne, on y trouve les parents pauvres de l’escroquerie (et tout autant engraissés), à savoir, les banques grecques… plus fantomatiques que jamais en ce moment.

Étranges et beaux moments d’une histoire enfin présente, non oublieuse d’un passé certain. Une rétrospective à Athènes propose la redécouverte de l’œuvre de Dziga Vertov (1896-1954), ce cinéaste soviétique, s’inscrivant pleinement dans le mouvement de l’avant-garde cinématographique de la Russie des années 1920, notamment par la grande influence qu’exercent sur lui le futurisme et le constructivisme. Un précurseur en quelque sorte de Jean Rouch et de son cinéma-vérité.

Rétrospective toujours… les journalistes de la radio 105,5 (SYRIZA) évoquent non sans un certain esprit de dérision, cette “probabilité de prendre à nouveau le maquis”, ou encore “la lutte contre les Allemands à l’extérieur, et contre les Collabos à l’intérieur du pays” (le 20 février).

Ce que j’observe aussi en lisant certaines déclarations, tient des premiers écarts entre les politiques en Allemagne quant à l’attitude à adopter face à la Grèce. En réalité, face à l’Allemagne elle-même. Un bon début, probablement insuffisant. Dans une sorte d’ultimatum… à l’envers, Alexis Tsípras vient de déclarer (après-midi du 20 février): “C’est le moment où l’Europe doit prendre certaines décisions historiques” (cité de mémoire, Real-FM). Mario Draghi de son côté (BCE), demande aux banques grecques de ne plus financer les besoins de l’État (la Grèce), au cas où l’Eurogroupe du jour n’est guère concluant (d’après Real-FM, journal du 14h).

Aucun pronostique possible pour l’instant. Attendons l’Eurogroupe du jour et des mois prochains. Temps de Bruxelles et temps de Berlin. Athènes et ses… fauves, souffle de dignité et Weimar de l’Égée. Futurisme ou constructivisme ?

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