Le jardin des Fraternités ouvrières, un petit paradis de permaculture – et de partage

6 novembre 2018 / Romane Dubrulle (Silence)

À Mouscron, en Belgique, Gilbert Cardon cultive son jardin en permaculture depuis 50 ans. Il a rassemblé autour de lui un groupe de jardiniers et de jardinières, devenu l’association Les Fraternités ouvrières. Les bénévoles partagent leurs savoirs et les 6.000 variétés de semences de leur grainothèque avec plus de 3.000 adhérents.

  • Mouscron (Belgique), reportage

La façade de la maison mitoyenne de Gilbert et Josine ne peut être plus banale et discrète au pays de la brique. Pourtant, après avoir longé une bibliothèque composée de 2.000 ouvrages et traversé une pièce, dont les murs sont recouverts sur toute leur hauteur par des étagères remplies de sachets de graines, une petite porte mène à un jardin extraordinaire. 1.800 m² de végétation luxuriante, où l’on ne distingue plus les pommiers des poiriers, les figuiers des pêchers et les châtaigniers des noyers. 4.000 espèces de légumes poussent à leurs pieds ainsi qu’un tas de plantes sauvages comestibles. On compte pas moins de 650 variétés de pommes et l’équivalent d’une espèce d’arbres ou d’arbustes fruitiers au mètre carré !

Les grands principes de la permaculture y sont appliqués, pour travailler avec la nature et non contre elle : pas de labour ni d’enfouissement de matières, aucun arrosage sauf pour les serres couvertes, aucun engrais extérieur, aucun traitement, ni chimique ni bio, les fruitiers sont taillés en vert l’été [1] et tous les déchets de tailles retournent au sol, les semis sont faits en serre froide et le sol est autant que possible couvert en permanence.

« Le fondement de la permaculture est le partage, avec les gens avant tout, et avec la nature, les vers de terre, les oiseaux… »

La permaculture n’est pas seulement pour Francis, l’un des bénévoles, « une façon de cultiver mais une façon de vivre », notamment en consommant le moins possible de matières premières. Pour Gilbert, « le fondement de la permaculture est le partage, avec les gens avant tout, et avec la nature, les vers de terre, les oiseaux… il y en a pour tout le monde ! ». « Quand les gens me disent ne pas vouloir planter de cerisier parce que les oiseaux vont tout manger, je leur réponds d’en mettre un deuxième ! »

« Au plus il y a de variétés de plantes, au plus il y a d’espèces d’animaux », explique Gilbert, et inversement. Au détour d’une conversation, Josine insiste sur l’importance « du monde du vivant dans le sol et l’autofertilisation ». C’est encore plus vrai quand différents biotopes cohabitent, ajoute Francis : « Dans le jardin, il y des mares, des sous-bois, des zones plus éclairées, etc., ce sont dans les zones frontières entre ces biotopes qu’il y a le plus de biodiversité ». Ce sont aussi ces espaces qui l’émerveillent le plus : « Les fruitiers complètent le potager, l’un protège l’autre, les arbres protègent les légumes du vent… »

Mais le jardin est avant tout un petit paradis pour les êtres humains. « Quand on peut se promener entre les arbres, on se sent mieux », raconte Josine avant de s’indigner : « Les plus pauvres, on les met dans des cagibis, sans un carré d’herbe pour faire pousser un pissenlit, c’est les conditions les plus défavorables. » Gilbert, lui, dénonce les prix excessifs du bio : « C’est un mois de salaire pour acheter un kilo de carottes ! ironise-t-il, les pauvres peuvent seulement manger de la merde. C’est inadmissible ! »

« Les OGM et les hybrides, ça rejoint le fascisme. C’est une tentative d’arrêter l’histoire, de bloquer la vie »

L’octogénaire cultive quasiment seul son jardin pour sa consommation personnelle, une seule personne vient l’aider quatre fois par semaine. Les bénévoles sont appelé·es en renfort pour conseiller les acheteu·ses de la grainothèque. Chaque jeudi, l’association ouvre ses portes, et propose à la vente des semences, par le biais d’un groupement d’achat. Elles sont 10 à 20 fois moins chères qu’ailleurs, car les graines sont achetées en gros et mises en sachets par les bénévoles. Les petites mains sont même appelées pour transformer les enveloppes reçues dans leurs boîtes aux lettres en emballages.

La grainothèque.

Les nombreuses variétés de semences, dont 950 tomates différentes, attirent des curieu·ses du monde entier, raconte Francis. La plupart des variétés sont anciennes, et sont celles qui se vendent le plus. Étant formée en groupement d’achat, leur activité n’est pas illégale vis-à-vis du catalogue officiel. Ce catalogue est une aberration qui balaye les années de travail et de transmission des paysans, considère Gilbert, et qui valorise les recherches longues et couteuses d’ingénieur·es en agrobiologie dont les objectifs ne sont que commerciaux. « Les OGM et les hybrides, ça rejoint, pour moi, le fascisme. C’est une tentative d’arrêter l’histoire, de bloquer la vie. »

Gilbert, longtemps ouvrier, accorde toute son importance au travail manuel. C’est par la pratique que l’on acquiert le savoir et en créant de ses mains que l’on se satisfait de son ouvrage. Les connaissances tirées de ses 50 ans d’expérience, il les partage à travers des cours de jardinage. Tous sont gratuits et sans inscription, mais la salle est souvent bondée ! Le jardin peut aussi être visité librement tous les jeudis après-midi.


POUR EN SAVOIR PLUS

  • Les permanences se tiennent tous les jeudis de 14h à 18h.
  • Les semences peuvent être achetées uniquement sur place, après le paiement de l’adhésion à l’association d’un montant de 2 €. 
Les cours théoriques de jardinage sur les légumes ont lieu tous les premiers et deuxièmes dimanches du mois entre 10h et 12h. Ceux portant sur les fleurs sont donnés par Ignace, chaque deuxième vendredi du mois de 18h à 19h30.
  • Vous pouvez retrouver les enregistrements des cours sur la plateforme internet YouTube, ainsi que les résumés écrits et des calendriers d’aide au jardinage sur le site internet des Fraternités ouvrières.
  • La bibliothèque est accessible gratuitement à tou·tes les adhérent·es.
  • À voir : La Jungle étroite, un film de Benjamin Hennot.

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[1La taille en vert consiste à tailler les arbres aux feuilles vertes pendant l’été uniquement pour aider les bourgeons à se développer.


Lire aussi : Le jardin ouvrier est devenu un modèle d’écosystème


Source : Article transmis amicalement à Reporterre par Silence.

Photos : © Romane Dubrulle/Silence

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