MAI TOUJOURS VIVANT

Vous voulez nous commémorer, c’est-à-dire nous enterrer. Mais vous perdez votre temps. Nous sommes toujours vivants. La révolte de mai refleurira obligatoirement.

Comment pouvez-vous imaginer que les gens se satisferont longtemps de cette existence étriquée, de cette vie au rabais, où il convient de travailler, consommer et se divertir selon vos règles, selon vos ordres et surtout vos profits ? La vraie vie, c’est autre chose. En Mai 68, nous l’avons touchée. Elle nous a certes échappé, ou plutôt on nous l’a arrachée, mais nous la retrouverons forcément un jour.

Vous avez beau discréditer notre révolte, dire qu’elle n’était qu’un amusement de jeunesse, une révolution culturelle – ça au moins ça ne mange pas de pain. Une grève aux acquis vite récupérés par les patrons. Nous savons qu’elle visait à devenir une révolution tout court. On lui a coupé les ailes, mais vous savez ça repousse les ailes et ça permet de voler encore plus haut, là où il n’y a plus de classes sociales, ou plutôt une seule : la classe ! Vous nous affirmez que scientifiquement, c’est impossible, ça ne peut pas réussir. Mais nous n’avons rien à faire de votre science. Nous faisons confiance à l’utopie, et même à l’inimaginable.

L’histoire tourne de plus en plus vite. Jusqu’ici à notre détriment, mais un jour la roue va s’arrêter sur la case Révolution. Celle qui balaye les injustices et les inégalités. Ces inégalités que vous considérez comme inévitables et même bénéfiques. Elles sont, d’après vous, les moteurs de la société. Pour filer le train aux premiers de cordée, on est prêt à gravir les échelons, à appuyer sur le bouton de l’ascenseur social. Après, il paraît que ça ruisselle, ça désaltère tout le monde, même ceux qui sont en bas de l’échelle.

Nous ne voulons pas de votre ruissellement goutte-à-goutte, nous voulons boire à grandes goulées, à la vraie vie, à la fontaine de la liberté et de l’égalité. Vous nous prédisez qu’elle va vite se tarir, que les révolutions sont vouées à se transformer en tout autre chose : des dictatures.

En Mai 68 justement certains avaient compris qu’il ne fallait pas emprunter les chemins balisés : ceux des révolutions violentes qui avaient donné naissance à des régimes autoritaires. Vous faites semblant d’oublier que la révolte était dirigée contre vous, mais aussi contre ceux qui préconisaient les voies “communistes”.

Vous voulez nous faire croire que c’est eux ou vous, qu’il n’y a pas d’autre alternative : le goulag ou la loi du marché. Mais, en quelques semaines de printemps, nous avons déniché d’autres chemins de traverse. Mai 68 n’était qu’un galop d’essai, une reconnaissance de terrain. Vous avez beau dresser des barrages, nous retrouverons les pistes.
Vous nous traitez de vétérans – pourquoi pas de vieillards ? – mais c’est vous qui appartenez au vieux monde. Nous aurons toujours la jeunesse du monde, celle qui se dresse face au pouvoir et dit non, avant justement d’emprunter les chemins de traverse.

Vous êtes bien prétentieux de croire que vous materez toujours les révoltes. C’est une source qui jaillit, elle ne ruisselle pas, vous ne pourrez pas toujours l’obturer avec vos mains crispées. Vos polices, vos armées, vos tribunaux, vos prisons, n’y pourront rien. Un jour, nous réaliserons l’espoir de Mai.

Denis Langlois
avocat, écrivain, vient de publier Et si la révolution était possible (éditions Scup).
mai-68-revolution-possible.fr

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