Comment les flics m’ont (littéralement) cassé la couille…

Publié le 8 juin 2016

… ou « ma première expérience avec les grenades de désencerclement ». Témoignage d’un participant à la manif du 26 mai à Lyon.

Je pense que je vais me souvenir longtemps du jeudi 26 mai.

Après avoir avalé mon café du midi, je passe deux trois coups de fil aux copains pour savoir qui est motivé pour la manifestation. Top ! Il semblerait qu’il y ait du monde de motivé aujourd’hui, pour une fois je pense pouvoir même y être à l’heure et en plus il fait beau !

Les manifestations ça te rappelle que t’es pas seul vis-à-vis de tes opinions politiques, surtout quand les médias te font croire que t’es isolé et dans l’erreur, c’est plein d’énergie, de camarades et de chants rigolos. On y voit de tout, du papy, du syndicaliste aguerri et équipé, en passant par les punks aux crêtes multicolores. Personnellement, je ne suis pas un professionnel des manifestations même si je commence à en avoir fait pas mal et de tout type (en vélo, des sauvages, des internationales, des occupations, des plus classiques…)

La manif s’annonce bien, les chants s’enchaînent

Aujourd’hui, je me dis que la manifestation devrait bien se passer. Le seul matériel que j’ai pour habitude de prendre c’est du liquide physiologique, mais là je pars juste avec une pomme et une bouteille d’eau. Je pars en promenade quoi, en gros. Ma pomme engloutie en chemin sera le seul repas de la journée.

J’arrive à la manifestation qui n’est pas encore partie du point de rassemblement. J’en profite pour faire mon petit tour et regarder le monde présent. Je croise deux copains qui viennent de se faire confisquer leur masque de ski (Je découvre que c’est apparemment interdit, pourquoi ?).

Bref, la manifestation démarre. Avec les copains on se retrouve à coté d’un groupe de jeunes féministes. Leur pêche et leurs chants sont trop forts, pleins d’originalité et d’humour. J’aime beaucoup ! On est devant les gros cortèges de syndicats, mais pas en tête de cortège. La manif s’annonce très bien ! Les chants s’enchaînent, rythmés par quelques artifices.

La tête de cortège arrive à la Guillotière, et là sans que l’on puisse voir pourquoi de là où nous sommes, celle-ci disparaît sous un nuage de lacrymogènes. Ça entraîne un gros mouvement de foule qui fait revenir les manifestants sur leurs pas. Les gens pleurent, toussent, d’autres se font aider pour marcher (à ce moment je regrette de ne pas avoir pris mon liquide physiologique…). Dans le mouvement de foule je perds tous les copains. Le cortège reste à l’arrêt le temps que le gaz se disperse, j’en profite pour circuler dans les rangs afin de retrouver mes camarades, sans succès.

Finalement le cortège reprend sa route pour traverser la place du pont. Arrivé au milieu de la place, nouveau mouvement de foule, celle-ci part sur la droite de la place (côté opposé au MacDo). De l’autre côté de la place (vers l’arrêt de tram) je vois un tas de flics habillés en Robocop, certains ont des boucliers/tonfas, d’autres des armes à gros canons (lance-grenades, flash-ball ? J’en sais rien).

Un Robocop lance un truc noir

Le cortège continue d’avancer en serrant a droite. Je commence à suivre le mouvement alors que des manifestants ont déjà traversé la place. Je vois un Robocop lancer, en le faisant rouler, un truc noir (qui m’a fait penser par sa forme à un spray désodorisant assez large) vers le centre de la place où il n’y a pas grand monde. Les quelques personnes présentes au centre se mettent à courir un peu dans tous les sens. Je m’attendais à une lacrymogène, mais après la forte explosion de l’objet, pas de fumée, rien ! Ça me surprend un peu sur le coup, je ne comprends ni le geste, ni l’objet.

À ce moment le cortège est un peu disparate, je suis entrain de commencer la pente douce qui relie la place du pont aux quais du Rhône, par la chaussée dans le « sens de circulation » et de l’autre côté de la route, il y a un groupe habillé de noir, tenant une banderole que je n’arrive pas à lire. C’est là que venant de derrière moi, j’entends « Attention ! Attention ! » , je vois des personnes courant autour de moi. N’osant pas me retourner ne sachant pas du tout ce qui arrive en pensant au manifestant de Rennes ayant perdu un œil par flash-ball courant mai, je n’ai pour seul réflexe que de me protéger le visage en accélérant le pas. Là, je sens quelque chose passer entre mes jambes. J’ai le temps de voir le même truc noir que deux minutes avant et… BOUM !!! L’engin détonne à moins de deux mètres de ma jambe.

Sur le coup, je ne comprends pas tout, je vois un peu flou. Par terre, je vois des morceaux de plastique, un ressort… Je me dis que c’est une grenade assourdissante sauf que mon ouïe ne semble pas gênée (j’entends des « Ça va ? Ça va ? »). J’ai surtout eu l’impression de m’être pris un énorme coup dans les couilles et sur le coup je mets ça juste sur le compte de la déflagration. Il fallu que je fasse un pas supplémentaire pour que je prenne pleinement conscience des douleurs. Ma jambe me fait mal, mes couilles aussi.
2-125.jpg
Compresses, désinfectant, gâteaux… et les pompiers

Les bruits, autour de moi, me font penser à une scène de guerre, ça pète, ça crie. D’un seul coup, deux personnes en noir viennent me chercher et me portent jusqu’au trottoir. Elles sortent une boite que je vois pleine de compresses, elles me désinfectent la jambe. Je découvre alors la plaie à ma jambe, elles posent des compresses, les maintiennent. Puis elles-mêmes remarquent que je suis blessé au cou. Rebelote, désinfectant, compresses. Pour ma part je suis dans les choux, je me sens faible. D’autres personnes arrivent et commencent à prendre de mes nouvelles. Je retrouve des visages familiers. Plusieurs manifestants viennent voir ce qui m’arrive. Moi je découvre en mettant la main dans mon pantalon/caleçon que je saigne pas mal. Une infirmière manifestante qui m’aide m’a vu faire et prend immédiatement l’initiative d’appeler les pompiers.

Le temps que ceux-ci arrivent, de nombreux passants viennent m’apporter leur soutien. J’ai le droit à de l’eau, des gâteaux, des phrases du type « Ils deviennent fous », « Ils ont pas le droit de blesser ainsi ! » « C’est la première fois que je vois ça… et pourtant je milite depuis longtemps ! ».

La manifestation passe, je remarque que le service de nettoyage de la ville est tout de suite présent. Un policier en scooter passe et s’arrête à ma hauteur et ose balancer « C’est bon, il a rien celui-là. Il peut bouger ! » Les gens qui m’entourent l’envoie paître, ce qu’il ne tarde pas à faire.
3-68.jpg
Les pompiers arrivent. En me voyant ils demandent ce que j’ai. Après une explication rapide je me retrouve dans le camion. Dans un premier temps le pompier qui m’ausculte donne l’impression que ce que j’ai ne nécessitait pas un appel aux pompiers. C’est après avoir vu le dégât aux testicules qu’il change d’attitude. Il informe ses collègues en essayant de parler doucement :
« – Les gars, il y a un trou…

 Un trou ?

 Un trou aux bourses… »

Le gyrophare se met en marche, je me retrouve à Saint-Luc Saint-Joseph. Arrivé aux urgences, le même scénario qu’avec le pompier semble se répéter. Dans un premier temps, on me pose quelques questions et on me laisse attendre. Mais dès lors que l’infirmier voit toutes mes blessures, tout va de nouveau très vite. L’infirmier va chercher un autre infirmier qui lui va chercher un médecin qui m’envoie en express au service urologie.

Un infirmier m’annonce que je passe au bloc

Au service urologie, on m’ausculte mais impossible de donner un diagnostic définitif. On me fait alors passer rapidement une échographie. Après ça, j’attends aux urgences que l’on me dise ce qui se passe. J’ai à peine le temps d’écrire à quelques camarades à propos de ma situation qu’un infirmier arrive et m’annonce que je vais passer au bloc. Il faut que je lui remette mes affaires.

Arrivé au bloc, l’urologue m’explique la situation. J’ai un testicule brisé et l’hématome qui l’entoure le compresse beaucoup trop. Il risque d’être complètement détruit si rien n’est fait. Il dit que l’échographie n’a pas permis de tout voir. Il est même probable que le testicule soit déjà irrécupérable, mais qu’il ferait ce qu’il peut afin de le conserver. Là je ne suis pas confiant du tout…

Je me réveille à 21h30 bien déboussolé. On m’informe que l’opération s’est bien déroulée : j’ai encore mes deux testicules. Mais apparemment c’était bien le bazar. Le testicule endommagé n’est pas encore tiré d’affaire : désormais, ce n’est que naturellement que celui-ci peut se réparer. Pour info, ils résument l’opération ainsi : « Exploration de la bourse gauche, suture albuginée par abord scrotal ».

Je suis donc interdit de sport pour 2 mois avec 7 jours d’ITT, renouvelables. Je me retrouve donc, pour avoir manifesté pacifiquement, fortement blessé et ce totalement « gratuitement ». Dans un contexte parfaitement injustifié.

Les blessures policières ne devraient pas exister. Pourquoi équiper les forces de l’ordre d’équipements si lourds ? Dans ce contexte ? Flashballs et grenades ont déjà fait tant de blessés. Et l’on encore continue à surarmer la police… Dans quel but ? gazeuses et tonfas ne suffisent-ils pas ?

Dans mon malheur je me dis que j’ai eu finalement beaucoup plus de chances que d’autres. Je pense à ceux qui perdent leur vie, un œil ou ceux qui sont encore hospitalisés suite aux violences policières.

Il y a actuellement un « deux poids deux mesures » qui me débecte. Certains finissent jugés pour avoir lancé des œufs, d’autres ne sont même pas menacés pour avoir tué ou mutilé.

Je ne veux plus entendre parler de haine anti-flics, ni de voitures brûlées… Je serai à la prochaine manif en marchant comme un cow-boy (on me confondra peut être avec un flic) mais cette fois-ci avec une coquille de protection.

Retrait de la loi travail !
P.-S.

Un grand merci au personnel soignant et à ceux qui m’ont soutenu au moment des faits.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.