Tarnac : juges et parquet se renvoient la balle

Willy LE DEVIN 10 août 2015 à 17:44

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Manifestation le 21 juin 2009 à Paris en soutien aux personnes du «groupe de Tarnac» mises en examen. (Photo Miguel Medina. AFP)

À CHAUD Dans leur ordonnance de renvoi, que Libération a pu consulter, les juges Teissier et Duyé écartent la circonstance aggravante de terrorisme à l’encontre des militants d’extrême gauche. Le parquet, pour sa part, a fait appel.

Nouveau coup de théâtre dans l’affaire dite de Tarnac. Ce lundi, le parquet de Paris a décidé de faire appel de l’ordonnance de renvoi rendue samedi par les juges Christophe Teissier et Jeanne Duyé. Long de 95 pages, ce document, dont Libération a eu connaissance, écarte la circonstance aggravante de terrorisme à l’encontre de trois militants d’extrême gauche, dont l’intellectuel Julien Coupat, arrêtés en novembre 2008. Sept autres étaient par ailleurs poursuivis pour d’autres motifs. Un désaveu cinglant pour le ministère public, tant le groupe anarcho-autonome avait été criminalisé par les politiques de l’époque.

Le 6 mai, dans un réquisitoire à charge qui restera dans les annales, le parquet demandait en effet le renvoi en correctionnelle de Julien Coupat, sa compagne Yldune Lévy, et son ex-petite amie Gabrielle Hallez, pour «association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme». Dans leur ordonnance, les juges Teissier et Duyé exposent, eux, une tout autre analyse des éléments recueillis : «Si, à l’évidence, les actions objet de la présente instruction ont manifestement été commises dans le dessein patent de désorganiser le fonctionnement d’un rouage considéré comme étatique, la SNCF, et ce conformément à la littérature découverte dans le dossier [L’Insurrection qui vient, paru en 2007, et dont le groupe de Tarnac est probablement l’auteur, ndlr], en revanche, il convient de considérer qu’au-delà du préjudice évident occasionné, du trouble manifeste apporté à l’ordre public et du désagrément causé aux usagers, ces actions ne sauraient être considérées, malgré la rhétorique guerrière employée, comme étant des actions ayant à un moment ou à un autre, intimidé ou terrorisé au sens de l’article 421-1 du Code pénal [qui stipule que l’intention terroriste peut être retenue même dans le cas d’atteintes aux biens, ndlr] tout ou partie de la population.»
Distinction entre idées et faits

La circonstance aggravante de terrorisme ainsi écartée, les juges ont également revu l’entière géométrie des poursuites. La «participation à une association de malfaiteurs» ne pèse plus désormais que sur quatre des huit mis en examen [ils étaient 10 en novembre 2008, ndlr] : «l’éminence grise» Julien Coupat, Yldune Lévy, Elsa Hauck et Bertrand Deveaud. Pour motiver cette décision, Christophe Teissier et Jeanne Duyé soulignent «que l’ensemble des mis en examen mais aussi d’autres personnes qui, pour certaines, avaient été entendues en tant que témoins dans le cadre de la procédure, avaient sur la base idéologique mise en scène dans l’opuscule L’insurrection qui vient, constitué un groupe dont le point de ralliement était la commune de Tarnac.» Et de poursuivre : «Bien évidemment, ce seul constat idéologique ne saurait suffire à constituer l’association de malfaiteurs qui n’a pas pour vocation de réprimer “les propagandistes des idées” mais seulement “les propagandistes par les faits”, autrement dit, ceux qui par une entente ou la constitution d’un groupe se sont mis d’accord pour “extérioriser ces idées par des moyens violents”.»

Les juges s’appuient donc sur la présence des protagonistes à des réunions préparatoires, à des manifestations, mais aussi sur des documents et du matériel saisis. Lors d’une fouille réalisée quelques semaines avant les faits à la frontière américano-canadienne, les policiers ont notamment retrouvé une liste dans les affaires de Julien Coupat et Yldune Lévy. Y figurent des «gants 25 000W, un tube+ficelle, un essai, une 2e paire de gants, du scotch, une pince, un barbour-caban, une frontale, de l’acétone, et du graissant-dégraissant». Un autre document explique la façon d’assembler le matériel pour réaliser le sabotage.
Polémique sur les méthodes de la police

Le couple est également poursuivi pour «dégradations». Pour les juges, la présence de Julien Coupat et Yldune Lévy aux alentours de Dhuisy (Seine-et-Marne), la nuit du 7 au 8 novembre 2008, «ne laisse aucun doute.» Le 8, à 5h12, le TGV de reconnaissance de la ligne Paris-Strasbourg subit une avarie sur son pantographe. Des agents de maintenance constatent alors la présence d’un crochet en U sur le fil de contact. Julien Coupat et Yldune Lévy ont eux-mêmes confirmé un arrêt en pleine nuit à côté des voies ferrées «pour faire l’amour». En 2011, pourtant, une vive polémique avait éclaté sur la manière dont la police avait décelé la présence des amoureux à Dhuisy. Un PV de filature, le D104, avait fait l’objet d’une plainte des avocats de la défense pour «faux et usage de faux en écriture publique». En effet, les militants affirment que les informations ont été collectées grâce à une balise posée illégalement sous leur véhicule. Une question à laquelle les juges ne répondent évidemment pas. Toutefois, Christophe Teissier et Jeanne Duyé notent que le couple a été reconnu par le gérant d’une pizzeria et une employée du relais routier. Que des achats réalisés ce jour-là pourraient avoir servi à la confection d’une perche pour atteindre la caténaire. Et observent que «ces dégradations présentent un mode opératoire […] qui rentre parfaitement dans la théorie maintes fois affirmée par Julien Coupat du blocage des flux».

Enfin, les quatre derniers militants, Manon Glibert, Christophe Becker, Benjamin Rosoux, et Mathieu Burnel ont, eux, été renvoyés pour «tentatives de falsification de documents administratifs», «recels» de documents volés ou «refus de se soumettre à des prélèvements biologiques». Désormais, le dossier revient à la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris.
Willy LE DEVIN

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