« Merci aux Soulèvements de la Terre d’avoir initié un nouveau mode de lutte »

soulèvements de la terre

Guillaume Bernard

Lors du weekend du 22-23 avril, plus de 8000 personnes ont manifesté à Saïx, dans le Tarn, contre le projet d’autoroute A69 entre Toulouse et Castres. Une mobilisation notamment appelée par les Soulèvements de la Terre. Après Sainte-Soline, un palier semble franchi dans la mobilisation écologiste. Non seulement en termes d’ampleur, mais aussi en matière d’inventivité et de maîtrise de la diversité des modes d’action.

« La mobilisation est déjà un succès et nous tenons à remercier notre meilleur attaché de presse…». Dans le chapiteau central du camp de Saïx, face à des dizaines de journalistes, Gilles de l’association La voie est libre (LVEL) ménage ses effets. « Je veux bien sûr parler du ministre de l’intérieur Gérald Darmanin », termine le militant.

Une spéciale dédicace bien méritée. Car c’est bien le ministère de l’intérieur qui, par ses sorties répétées dans les médias contre les présumés « écoterroristes », par sa menace de dissolution du collectif « les Soulèvements de la Terre », a grandement contribué à rendre cette journée massive.

Un événement devenu national

Jamais une mobilisation contre l’autoroute A69, prévue pour relier Toulouse à Castres, n’avait réuni autant de manifestant•es : 8 200 selon les associations organisatrices, un timide 4 500 selon la préfecture. Les opposant•es protestent pourtant depuis 1996. Marie-Françoise Itier, dont la maison, située à 63 m du tracé de l’autoroute, a perdu 40% de sa valeur, en est émue. « C’est une chance incroyable de pouvoir faire exister notre combat à l’échelle nationale », rayonne la sexagénaire.

De plus, la manifestation du samedi 22 avril bénéficie de l’énergie de la mobilisation contre la réforme des retraites, comme le font entendre les slogans de convergence des luttes : « pas de retraités sur une planète brûlée », ou le subtil « ni à 64, ni A69 ». S’ils ne sont pas organisateurs, certains syndicats et partis politiques de gauche sont d’ailleurs au rendez-vous. Des syndicalistes de Solidaires, des militant•es toulousain•es du NPA et de Révolution Permanente sont venus en nombre et constituent de mini cortèges. Les drapeaux de la France insoumise flottent et l’une de ses figures de proue, Manuel Bompard, a fait le déplacement, accompagné de députés locaux.

Après Sainte-Soline, nouveau palier pour les Soulèvements de la Terre

Si les yeux et les caméras se sont tournés vers la mobilisation contre l’autoroute A69, c’est parce que, quelques semaines plus tôt, la mobilisation contre les méga-bassines à Sainte-Soline (79), également appelée par les Soulèvements de la Terre, a donné lieu à des affrontements entre manifestant•es et forces de l’ordre. La répression a été d’une grande violence, causant de nombreux blessés, notamment Serge, un militant toujours dans le coma à l’heure actuelle.

Mais la manifestation du jour n’a pas été la réplique de celle de Sainte-Soline et s’est déroulée sans accrocs. La gendarmerie, présente en nombre et encadrant tout le parcours, s’est tenue très éloignée du cortège et ses 12 kilomètres de trajet. Un compromis issu d’une négociation serrée entre le collectif organisateur local La voie est libre et la préfecture.

En revanche, la mobilisation de Sainte-Soline a sans conteste fait franchir un palier aux mobilisations écologiques rejointes par les Soulèvements de la Terre et la mobilisation de Saïx en récolte les fruits. Un palier en termes numériques, puisque les nombreux rassemblements appelés depuis plusieurs années, Sainte-Soline mis à part, dépassaient difficilement 1 à 2 milliers de manifestant•es. Mais également en matière d’inventivité et de maîtrise de la diversité des modes d’action.

La voie est libre, l’ancrage local

Quelques heures avant le départ de la manifestation, Vincent du collectif LVEL remercie un à un les organisateurs de ce week-end de lutte. Par politesse, certes, mais aussi pour rappeler à quel point leurs actions ont été complémentaires. Pour réussir cette mobilisation massive en pleine zone rurale, il a d’abord fallu un ancrage local. C’est son collectif, La voie est libre, qui l’a assuré, tout comme il a apporté une connaissance précise du dossier A69.

Constitué depuis 1 an et demi, il intègre des militant•es en lutte contre le projet autoroutier depuis près de 30 ans. Fort d’une cinquantaine de membres, épaulés par 200 à 300 sympathisants, il a donné un second souffle à la mobilisation contre le projet d’A 69. « Les collectifs historiques avaient du mal à intégrer de nouvelles personnes, la durée de la lutte les avait épuisés. On leur a apporté des nouvelles énergies et la volonté de construire un mouvement joyeux et ouvert », raconte Vincent de LVEL.

À son actif : l’organisation d’un festival, une marche de 4 jours sur les 62 kilomètres de tracé de l’autoroute ou encore une opération « bal des fouilles » visant symboliquement les chantiers archéologiques. C’est aussi l’association qui mène la bataille juridique, et compte déposer des recours contre l’autorisation environnementale donnée au constructeur NGE.

Complémentarité des modes de lutte avec les Soulèvements de la Terre

En appui des organisateurs locaux, on trouve la Confédération paysanne, qui apporte son expérience dans la lutte contre l’artificialisation des sols. Mais aussi Extinction Rebellion, dont les militant•es toulousain•es ont occupé des arbres destinés à être coupés mais aussi décoré les alentours pour visibiliser la contestation. Ou encore Attac, qui a « pris le risque de déclarer la manifestation », selon les mots de Vincent.

Enfin, les Soulèvements de la Terre sont remerciés pour avoir « initié un nouveau mode de lutte ». Un mode de lutte résumé en quelques mots par un des militants tarnais : « pinces coupantes et bottes de paille », « humour et rage ». Un mode de lutte qui contribue notamment à rajeunir le cortège.

Course de bolides

« Je suis là après ce qui s’est passé à Sainte-Soline, la violence policière a été insupportable, un camarade est dans le coma, on ne peut pas laisser passer ça », s’insurge Mo, vêtu de noir, lunettes de ski sur le visage, casque de vélo au bras. Tout juste diplômé du bac, ce jeune toulousain participe pour la première fois à une mobilisation des Soulèvements de la Terre et s’est équipé en conséquence. Ses lunettes ne le protégeront pas des gaz lacrymogènes, inexistants tout au long du parcours. En revanche, son casque lui servira pour participer à la course de bolides : point d’orgue de la manifestation.

« On va voir qui va foncer le plus vite dans le mur en gagnant 17€ (ndlr : prix prévu pour un aller-retour sur la future autoroute) », s’amuse Iris des Soulèvements de la Terre. L’action symbolique, pendant laquelle des véhicules de fortune doivent aller s’écraser contre un mur de paille sous les applaudissements des manifestant•es, pour dénoncer un projet d’A69 « sans queue ni tête », est une grande réussite. Au milieu du bitume, la manifestation devient fête. Pendant ce temps, une autre action, pas seulement symbolique, a lieu : la construction d’un véritable mur de béton au beau milieu de la route. « L’humour et la rage ».

Impacts concrets

Difficile à dire quelle sera l’issue de la bataille contre l’A69. Après la manifestation du samedi, les opposant•es se sont retrouvé•es le dimanche pour une assemblée de lutte, mais également pour installer un jardin maraîcher sur les terres du paysan sympathisant de la lutte et menacé d’expropriation qui a accueilli le campement sur ses terres. Pour les organisateurs, il s’agit là d’un signe de continuité et d’enracinement de la lutte.

De son côté, le ministre des transports Clément Beaune a annoncé réexaminer plusieurs dossiers autoroutiers, dont celui de l’A69. « Est-ce que c’est sérieux ou est-ce que c’est de l’esbroufe ? On n’en sait rien et on s’en fiche. On va continuer la mobilisation jusqu’au retrait de ce projet archaïque et on l’obtiendra », espère Vincent de LVEL.

En savoir plus : Une autoroute pour 12 minutes ?

Les arguments contre la construction de l’autoroute A69 ne manquent pas. « La terre est notre outil de production. Recouvrir les terres agricoles de goudron sur 60 km c’est douloureux pour nous, paysans », rappelle Laurence Marandola de la Confédération Paysanne. « 160 agriculteurs ont déposé des avis défavorables au projet d’A69 pendant l’enquête publique. Leurs contributions ont été passées sous silence », précise-t-elle.

Mais outre les considérations écologiques – artificialisation des sols, destruction de la biodiversité, atteinte aux nappes phréatiques… -, l’utilité même de l’A69 questionne. Ses opposant•es font valoir que le gain de temps sur le trajet Toulouse-Castres serait minime (12 minutes selon eux, 25 selon les constructeurs) puisque le trajet de l’autoroute est quasiment parallèle à celui de l’actuelle RN 126. Ils insistent également sur le coût particulièrement cher du trajet : 17 euros l’aller-retour.

En revanche, le projet s’annonce juteux pour ses constructeurs, le groupe de BTP NGE. Selon Mediapart, le futur exploitant de l’autoroute a obtenu une concession d’une durée de 55 ans. Si les prévisions de trafic sont correctes (environ 9 000 véhicules légers et 800 poids lourds en moyenne par jour), l’A69 offrira une manne financière à ses gestionnaires privés malgré un coût d’investissement estimé à 389 millions d’euros.

https://rapportsdeforce.fr/ici-et-maintenant/merci-aux-soulevements-de-la-terre-davoir-initie-un-nouveau-mode-de-lutte-042317787

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