Un marathon des luttes en Grèce

Carnet de route

paru dans lundimatin#372, le 27 février 2023

Un patchwork de luttes différentes mais reliées entre elles par un fil invisible et solide, ce sera l’impression que nous aura procuré cette nouvelle expédition grecque.

Après un lundi débuté au camp politique Kurde de Lavrio, et tout au long de nos pérégrinations militantes, nous parlerons luttes anticarcérales, avec la lutte en soutien à Alfredo Cospito, prisonnier politique en grève de la faim depuis plus de 100 jours.
Nous penserons autogestion, accueil des réfugié.es, nous vivrons la lutte des salarié.es de l’usine autogérée BIOME, passerons saluer les artistes en lutte et occupant le Théatre National de Grèce pour finir par brûler le projet de métro, dans une danse sauvage et festive à Exarcheia, quartier célèbre pour sa tradition de résistance.
Notre envie ici, est de d’illustrer la vivacité des luttes en Grèce, et l’énergie que procurent les interactions internationalistes.

Marche pour la libération de Abdullah Öcalan

L’envie et l’espoir sont immenses ce lundi matin, aux aurores, dans le camp politique Kurde de Lavrio, en Grèce.
On vous avait déjà parlé de ce lieu particulièrement actif dans la défense du projet de société du Rojava, dans un précédent récit.
On y est retournés, aspirés par un appel irrésistible, et sans vraiment savoir à quoi nous attendre.

Nous décidions peu avant notre voyage, de participer à une marche de 65 km organisée par des Kurdes, dans le cadre d’un appel à solidarité internationale visant à faire pression sur le gouvernement autoritaire turc, et oeuvrer ainsi pour la libération d’Abdullah Öcalan, détenu depuis 1999 dans une geôle turque.

Fondateur de la doctrine du confédéralisme démocratique, et inspiré par ses échanges durant sa détention avec l’essayiste libertaire Murray Bookchin, il est la bête noire du système incarné par le régime autoritaire turc.

Portés par un élan collectif, une cinquantaine de marcheurs et marcheuses Kurdes et internationaux, et nous-mêmes, quittons le camp ce lundi matin là, sous un ciel grec toujours aussi lumineusement azur, en dépit d’un froid claquant.
Nous marcherons donc 65 km en trois jours, c’est à la fois long et trop court, tant l’expérience est bouleversante.
Nous sommes animé.es, au gré des routes, des chemins, des collines, des villages, des villes, par une énergie intense, qui fait fi de la fatigue physique.

Les pauses thé, eau, et repas sont les bienvenues et sont le prétexte à rêvasser, somnoler, discuter, sous l’oeil sans doute bienveillant des oliviers centenaires. Eux savent, ils ont vu tant de choses s’accomplir, et tant d’autres être détruites. Leurs troncs noueux semblent nous encourager à poursuivre cette quête pour la vie et la liberté.

Les soutiens des passants sont fréquents, klaxons, doigts en V, et encouragements émaillent notre parcours, un pope orthodoxe ira même jusqu’à se lever de sa chaise de café, et applaudir le cortège, en entraînant avec lui les autres personnes présentes.
Les soirées sont animées par les rires, les sourires, malgré le froid du gymnase qui accueille les marcheurs le premier soir. Le théâtre dans lequel nous dormirons le lendemain sera même l’occasion d’exprimer spontanément nos “talents” cachés de comédie et de chant. Finalement c’est aussi cela l’autogestion.
L’arrivée à Athènes, très symbolique, est illuminée par un feu d’artifice et des fumigènes depuis le toit du squat autogéré “Prosfygica” devant lequel nous passons, et une fin de manifestation calme et déterminée, à proximité de l’ambassade de Turquie, où nous serons rejoints par les soutiens de collectifs grecs.

“Bijî Rojava” ( longue vie au Rojava ! ) sera le slogan que nous emporterons avec nous ce soir là dans nos sacs à dos et nos cœurs.

Squat autogéré PROSFYGICA

Dès le lendemain, nous voilà repartis rejoindre des amis du squat autogéré “Prosfygica” (réfugiés).
Naïvement nous pensions qu’il se composait d’un seul bâtiment, mais nous découvrons avec surprise qu’il s’agit en réalité d’un bloc complet de plusieurs immeubles, abritant plus de 200 familles de réfugié.es de diverses nationalités, de sans domicile, d’anciens habitant.es ayant décidé de rester vivre sur place dans ce squat régulièrement attaqué par la police grecque, essayant en vain d’en expulser les habitant.es.

Toujours debout cependant, et auto-organisé autour des valeurs de solidarité et d’autogestion, Prosfygica résiste !

Action à l’Ambassade d’Italie, NON au 41 bis

C’est en groupe que nous nous rendrons devant l’ambassade d’Italie d’Athènes, où un rassemblement a lieu, en soutien au prisonnier politique Alfredo Cospito, détenu à vie en Italie sous le régime carcéral de torture dit “41 bis” dénoncé par des organisations de défense des droits de l’homme.

Une action parmi d’autres puisque dans plusieurs pays, des actions similaires ont lieu, portées par l’urgence de l’état physique en forte dégradation de Cospito, en grève de la faim depuis bien trop longtemps pour ne pas être désormais en danger de mort.

Tracts lancés par dessus les grilles de l’ambassade, slogans offensifs et marche jusqu’au Parlement donnent le ton ce soir-là, dans une palette de couleur plutôt noire. Une police plutôt sage ce soir là d’ailleurs, une fois n’est pas coutume.
L’affaire Cospito n’est pas close, bien au contraire.

BIOME, usine autogérée en lutte pour sa survie

On le disait, tout est lié. Notre passage à l’action pour Alfredo Cospito, elle même déclenchée par la marche pour Öcalan, nous amène le lendemain au centre d’Athènes, pour une manifestation des salarié.es de BIOME.
Quoi de mieux pour décrire cette initiative locale fascinante que de les laisser parler :

« La seule usine du pays qui fonctionne sans patrons, la seule usine où tout le monde est payé de la même façon, la seule usine libérée du capitaliste et rendue à la société, est en danger. »

Comme toute initiative juste, illustrant en actes nos capacités d’auto-organisation de production, et échappant aux “lois du marché”, celle-ci est un caillou dans la (vilaine) chaussure de l’État. Des salarié.es qui de surcroît se permettent de soutenir les luttes, c’est absolument inadmissible pour les assoiffés du contrôle et du pouvoir.

Le terrain sur lequel se trouve l’usine a donc été vendu par le capital à un investisseur privé qui finira par détruire ce projet, parce qu’un hôtel, un centre commercial ou une résidence de standing, c’est bien plus “rentable”.
Nous marcherons avec elles et eux, jusqu’au Théâtre National d’Athènes.

Artistes en lutte

Nous arrivons devant le Théâtre National, accueillis par les artistes enfermés derrière les grilles, et gardant fermement le contrôle de ce lieu culturel symbolique. Depuis quelques semaines, un mouvement social fédérant les étudiant.es en Art et les artistes professionnels, et agrégeant autour de lui d’autres secteurs en lutte, prend de l’ampleur en Grèce.

Un décret présidentiel avait été publié en décembre 2022 par le premier ministre très à droite K. Mitsotakis, dont l’objectif était de dévaloriser les diplômes des artistes, prétendument pour « réglementer l’embauche dans la fonction publique ». Une foutaise dont aucun professionnel ou étudiant n’est dupe…

Depuis, ce mouvement inédit en Grèce ne cesse d’enfler ainsi que la colère des artistes, et des manifestations étudiantes et professionnelles massives se tiennent un peu partout sur le territoire. Des théâtres, à l’instar de celui d’Athènes ( REX ) sont occupés, des directeurs et directrices de lieux culturels démissionnent, et de nombreuses actions artistiques militantes apportent de la lumière à la contestation populaire.
Il semble désormais crédible de dire que l’État grec craint ce mouvement qui malgré une forte répression policière, ne faiblit pas, et pourrait faire contagion.

Exarcheia la Résistante

Ah Exarcheia la belle ! Un lieu unique en son genre, avant que le capital ne le cible comme élément à abattre. Mais comment tuer la résistance ?
Historiquement occupé par les luttes politiques, et proche de l’Ecole Polytechnique d’Athènes, qui fût le cœur des évènements de 1973 qui aboutirent à la chute du régime dictatorial des colonels, ce quartier est le caillou dans la chaussure des gouvernements successifs en Grèce, qui n’ont eu de cesse de le détruire.

La présence permanente et active de nombreux collectifs anarchistes et libertaires, représente un fléau pour l’Etat, on citera entre autres, le célèbre collectif Rouvikounas aux méthodes impertinentes et spectaculaires, dont beaucoup de membres sont régulièrement menacés par la justice, sans beaucoup d’effet sur leur offensivité. Leur soutien indéfectible à toutes les luttes citées dans ce texte, est un point d’appui solide pour le milieu militant grec.

Alors, après avoir tout tenté sans succès de pacifier le quartier, décision a été prise d’y faire arriver une station de métro. Or, métro égal gentrification, attrait pour les investisseurs privés, hausse des prix de l’immobilier etc…
Ne l’entendant pas de cette oreille, un collectif s’est créé “NON au métro à Exarcheia” et avec d’autres collectifs, entretient un bras de fer avec le pouvoir pour empêcher que le projet aboutisse.

Ce samedi soir là, un carnaval festif arpentera les rues du quartier, animé par des chants, des danses, et un feu de joie d’un faux métro en carton.

Des cocktails Molotov se mêlent bientôt à la fête, parce qu’après tout, un feu de joie à Exarcheia c’est souvent aussi cela. On s’amuse de la police au regard inquiet et en déroute, courant partout comme une armée de moustiques aveuglés par la lumière.

Et surtout on continuera à danser malgré les flammes, puisque personne ne semblera s’en inquiéter…
Enfin, on repartira dans la nuit, bien convaincus que le feu de la lutte pour un monde libre, et débarrassé du Capital et de ses symptômes maladifs, ne s’éteindra pas de si tôt, ici où ailleurs.

Nathalie Athina

https://lundi.am/Un-marathon-des-luttes-en-Grece

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