LIBRE NATURE

5 décembre 2022

Recueil de textes écrits entre 1857 et 1905 par le géographe libertaire et précurseur de l’écologie politique, Elisée Reclus.

Une observation fondamentale revient dans plusieurs de ces textes : « la géographie physique est pour ainsi dire l’histoire de l’humanité rendue visible », indiquant autant comment les grands mouvements de migrations et de conquêtes se sont opérés, que le caractère des nations primitives. « Tous les faits de l’histoire s’expliquent en grande partie par la disposition du théâtre géographique sur lequel ils se sont produits : on peut même dire que le développement de l’humanité était inscrit d’avance en caractères grandioses sur les plateaux, les vallées et les rivages de nos continents. » Sans la nommer, il évoque déjà l’anthropocène : « Une nouvelle couche géologique, le sol humain, est venu s’ajouter aux couches antiques déposées sur la terre par la lente élaboration des eaux. » Et ailleurs : « À mesure que les peuples se sont développés en intelligence et en liberté, ils ont appris à réagir sur cette nature extérieure dont ils subissaient passivement l’influence ; devenus, par la force de l’association, de véritables agents géologiques, ils ont transformé de diverses manières la surface des continents, changé l’économie des eaux souterraines, modifié les climats eux-mêmes. »

L’appartenance de l’homme à la terre et à la nature est l’autre principale thématique transversale à la plupart de ces articles : « L’homme, cet “être raisonnable“ qui aime tant à vanter son libre arbitre, ne peut néanmoins se rendre indépendant des climats et des conditions physiques de la contrée qu’il habite. Notre liberté, dans nos rapports avec la terre, consiste à en reconnaître les lois pour y conformer notre existence. » « Une harmonie secrète s’établit entre la terre et les peuples qu’elle nourrit,  et quand les sociétés imprudentes se permettent de porter la main sur ce qui fait la beauté de leur domaine, elles finissent toujours par s’en repentir. »

Elisée Reclus se montre fort critique, donc, quant aux activités humaines : « Tant que les hommes seront en lutte pour déplacer les bornes patrimoniales et les frontières fictives de peuple à peuple, tant que le sol nourricier sera rougi du sang de malheureux affolés qui combattent soit pour un lambeau de territoire, soit pour une question d’honneur prétendu, soit par rage pure, comme les barbares des anciens jours, la terre ne sera point ce paradis que le regard du chercheur aperçoit déjà par delà les temps. »  Ailleurs, il précise son projet politique : « C’est avec un sentiment de honte qu’après tant de siècles passés à l’œuvre de civilisation nous entendons encore des voix célébrer les “hommes providentiels“ ou les “gouvernements forts“comme les éducateurs des peuples. L’histoire se charge de démentir ces théories d’esclaves et nous prouve comment, même au sein des plus atroces despoties, la vie n’a pu se maintenir que par le travail coordonné de tous les membres du corps social. »

Dans un long article, il décrit la complexité du massif pyrénéen qui est en réalité formé par deux chaînes distinctes qui se rejoignent en formant un bassin, le Val d’Aran. Paradoxalement, ses plus hauts sommets ne se situent pas sur la ligne de crêtes. En 1858, il signale déjà la disparition du lynx et la diminution des populations de loups, d’ours et d’isard. De la même façon, d’autres sont consacrés à la rade de Rio-Hacha, à l’occasion de son voyage à la Sierra Nevada de Sainte-Marthe, au peuple basque, à « la révolution grandiose du Bouddhisme », à son expérience de végétarien dont il défend vivement les principes moraux,… Il émet également des critiques récurrentes contre la domestication et l’élevage. Il évoque aussi régulièrement ses projets éditoriaux et les intentions qui l’animent dans leur mise en oeuvre.

L’exercice éditorial du recueil de textes autour d’une grande thématique, s’il facilite l’accès à des lecteurs pouvant être dissuadé par des oeuvres copieuses, peut parfois donner un résultat discutable. Saluons le remarquable travail des éditions Héros-limite pour la publication de ce bel ouvrage au contenu intelligemment choisi. Dans une belle langue, précise tout en demeurant passionnée, Élisée Reclus donne matière à réflexion.

Ernest London
Le bibliothécaire-armurier

LIBRE NATURE
Élisée Reclus
Édition établie par Alexandre Chollier
272 pages – 16 euros
Éditions Héros-limite – Collection « Feuilles d’herbe, géographie(s) » – Genève – Mai 2022
heros-limite.com/livres/libre-nature/


Du même auteur : 

ÉCRITS SOCIAUX
ÉVOLUTION & RÉVOLUTION
L’ANARCHIE
https://bibliothequefahrenheit.blogspot.com/2022/12/libre-nature.html

 

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