La CGT pénitentiaire : un syndicat comme les autres ?

FRANCE   Publié le 12 avril 2021 | Maj le 14 avril 2021

Les surveillant·e·s pénitentiaires travaillent pour l’État, à maintenir enfermée une partie de la population, majoritairement pauvre. Ils ont peut-être de mauvaises conditions de travail. Alors pourquoi les revendications de leurs syndicats reviennent-elles principalement… à durcir la vie des prisonniers et des prisonnières ?

Leurs sites internet sont explicites : selon eux l’administration pénitentiaire respecte plus les « voyous » que les gardiens – ah bon ?! – leur autorité est menacée, les prisonniers et prisonnières ne sont jamais assez sanctionnés… Ils réclament « des réponses pénales sévères », de la sécurité, de la répression, des fouilles [1] tant qu’ils veulent.
Bien sûr, il y a des conflits entre les gardiens et leur hiérarchie. Mais quiconque est concerné par la prison sait très bien que, au fond, leur intérêt commun est de maintenir l’ordre en détention. Quitte à détruire la vie des prisonniers, des prisonnières et de leurs proches. Quand les gardiens font grève, ils ne bloquent pas leurs supérieurs, ils ne menacent pas d’ouvrir les cellules pour que les prisonniers prennent l’air. Ils bloquent les détentions. Ils rendent l’enfermement encore plus violent : restriction drastique de nourriture, pas d’activité, pas de douches, parfois même pas de parloirs. Les « usagers pris en otage » ne sont jamais interviewés. Pendant un grand mouvement de grève de gardiens, en janvier 2018, une prisonnière déclarait :

« Les maton·ne·s ne sont pas des ouvrier·e·s, ils et elles sont des agents actifs dans la protection et préservation d’un système qui protège les riches et enferme les précaires. L’amélioration des conditions de travail qu’ils réclament n’est pas autre chose qu’un manifeste en faveur d’un modèle de société basé sur la sécurité. Mais pas la sécurité d’avoir une vie digne et épanouie (…). La sécurité qu’ils défendent est basée sur le contrôle, la haine et la peur, ils demandent plus de caméras de vidéo-surveillance, plus de fouilles, plus d’armes, plus d’effectifs, plus de barbelés, plus d’isolement, plus de discrimination, plus d’obéissance. »
Lettre écrite par Marina, prisonnière du centre pénitentiaire de Rennes, et publiée dans le journal L’Envolée no 48

Alors… pourquoi la CGT syndique-t-elle des gardiens de prison ?

FO, le SPS, UFAP-UNSA… et aussi la CGT : malgré quelques divergences de fond et de ton, ces syndicats de gardiens ont le même rôle. « Tous ensemble, tous ensemble ! Ouais ! Ouais ! » La CGT est un syndicat puissant et actif qui participe aux luttes de « précaires », au mouvement contre la loi sécurité globale, qui se mobilise contre la répression. Pendant que la CGT dénonce les violences policières, sa branche pénitentiaire nie l’existence de violences pénitentiaires. Et surtout, elle agit pour faire taire toute dénonciation de ces violences. Les syndicalistes de la CGT sont-ils au courant de ce que fait et déclare leur section pénitentiaire ?

En novembre 2020, la CGT pénitentiaire d’Alençon–Condé-sur-Sarthe s’attaquait au journal L’Envolée, porte-voix de prisonnier·e·s et de leurs proches, qui avaient dénoncé, une fois de plus, des morts suspectes en prison. Le syndicat renversait la dénonciation, s’insurgeant contre un « déferlement de haine [qui pouvait] conduire certains « illuminés » à s’en prendre physiquement aux agents » et demandait l’interdiction de diffusion du journal. Les prisonniers et prisonnières connaissent bien leurs geôliers. Ils n’ont pas besoin que L’Envolée leur dise quoi en penser. Ceci dit, le coup de pression a bien marché. Suite à ce texte de la CGT, le journal – qui, souvent, n’est pas distribué aux prisonnier·e·s, au mépris des lois de liberté de la presse – a été pour la première fois censuré officiellement dans tous les établissements pénitentiaires par la direction nationale et son ministre Dupond-Moretti. Diverses associations ont alors réagi, rappelant que L’Envolée n’était pas seule à dénoncer les violences pénitentiaires et l’omerta :

« Cette interdiction ne saurait occulter le problème de fond dénoncé par le journal : les violences commises par des agents de l’administration pénitentiaire sur des personnes détenues sont une réalité désormais largement documentée, tout comme les rouages institutionnels permettant qu’elles se perpétuent. »
Communiqué commun de l’Observatoire international des prisons (OIP), l’ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture), la Ligue des droits de l’homme (LDH), L’Envolée, le Syndicat des avocats de France (SAF) et l’association des Avocats pour la défense des droits des détenus (A3D), 16 mars 2021

Silence ! On tabasse !

L’OIP, qui a produit un large rapport en 2019 au sujet de ces violences, affirme avoir reçu « près de 200 appels ou courriers de détenus qui déclarent avoir été violentés par des personnels pénitentiaires – deux signalements par semaine en moyenne, qui ne sont que la partie émergée de l’iceberg. » La journaliste Laurence Delleur a aussi réalisé un documentaire à ce sujet : Matons violents. La loi du silence. Dans cette enquête, Éric Tino, un ancien gardien de prison, raconte comment il a été mis au ban par ses semblables, harcelé et menacé, après avoir dénoncé des collègues qui avaient passé un prisonnier à tabac. Même attitude de la part de ses supérieurs : « La directrice m’a dit que je n’aurais pas dû balancer, que ça ne se dit pas, et que tant pis pour moi. » Les surveillants accusés de violences ont été reconnus coupables et condamnés, mais ils ont gardé leur boulot et même obtenu une promotion. Éric Tino, lui, a perdu son travail, isolé et poussé à la démission par les menaces. Les syndicats défendent qui, au juste ?

Il est très difficile de dénoncer cette violence pénitentiaire, cachée derrière les murs. Les prisonniers, les prisonnières et leurs proches qui témoignent ne sont pas crus ; souvent terrorisés, ils subissent des représailles. Les syndicats de gardiens le savent. Ils ne le dénoncent pas. Mais ils dénoncent ceux qui dénoncent : prisonniers, médias… ou collègues.
Jimony Rousseau-Sissoko est mort en janvier 2021 suite à une altercation avec des gardiens à la prison de Meaux-Chauconin (77), officiellement d’une « crise cardiaque ». La famille ne croit pas à cette version [2]. Dans la presse, un surveillant a témoigné de la violence subie par Jimony. Anonymement, puisqu’il sait ce qu’il risque. La CGT pénitentiaire locale a alors réagi avec véhémence :

« C’est dans ces moments de troubles et d’incertitudes où nous avons plus que besoin d’être solidaires, soudés en formant un seul bloc inébranlable, qu’un « pseudo surveillant » n’a pas trouvé mieux que de témoigner de manière lâche et anonyme à l’agence France-Presse. En effet, entre les mensonges, la lâcheté et l’hypocrisie, ce soi-disant témoin a osé dire que : « le détenu vulnérable a été roué de coups… » (…) Si ces propos sont vrais, pourquoi restes-tu anonyme ? Pourquoi ne dénonces-tu pas ces faits par la voie administrative et judiciaire en lieu et place de cette cabale médiatique ? »
« Le crédo du lâche », communiqué de la CGT pénitentiaire de Meaux-Chauconin, 5 février 2021

Voici une réaction publiée sur la page Facebook « Justice pour Jimony » par sa famille [3] :

« Le 5 février dernier, la CGT PÉNITENTIAIRE adressait une charge virulente contre un témoin anonyme qui a souhaité apporter sa version sur les circonstances de la mort de Jimony. (…) Le 25 janvier 2021, sans que la famille en soit informée, Jimony était transporté à l’hôpital dans un état de mort cérébrale. Le 2 février 2021, Jimony décédait sans que soit fournie la moindre explication sur les causes de sa mort. Le même jour, la sœur de Jimony faisait un appel à témoin pour être éclairée sur les circonstances de la mort de son frère. Dans le même temps l’AFP révélait le témoignage détaillé d’un personnel de l’administration pénitentiaire souhaitant conserver l’anonymat. Ce dernier dénonçait l’extrême violence avec laquelle avait été traité Jimony.
C’est dans ce contexte que dans un réflexe manifestement corporatiste la CGT PÉNITENTIAIRE publiait un communiqué titré « LE CRÉDO DU LÂCHE » faisant référence au témoin. Nous aurions préféré un autre titre comme celui d’« HOMMAGE AU COURAGE »… Ce ne fut pas le cas et la CGT y dénonce « les mensonges », « la lâcheté », « l’hypocrisie » allant jusqu’à accuser la « traîtrise » de ce lanceur d’alerte… Dans son communiqué, elle interpelle ledit témoin en lui demandant en rouge et en caractère gras « pourquoi restes-tu anonyme ? », question qui constitue une menace à peine dissimulée à tout futur témoin.
La CGT PÉNITENTIAIRE va, en cette période de deuil, jusqu’à entacher la mémoire de Jimony. Tout en félicitant le « grand courage » et le « professionnalisme » des surveillants, la CGT PÉNITENTIAIRE prétend que les surveillants auraient « eu affaire à une personne détenue violente et virulente ». Nous nous étonnons des affirmations tenues publiquement par ce syndicat, alors qu’une enquête est en cours pour déterminer les circonstances du décès de Jimony. Nous nous étonnons qu’un syndicat censé agir avec impartialité vienne imposer publiquement sa version des faits. Cette manœuvre a, à notre sens, deux objectifs : d’une part, instaurer l’omerta en dissuadant tout éventuel futur témoin d’apporter une version révélant des dysfonctionnements ; d’autre part, imposer une version officielle qui rendrait Jimony responsable de son propre décès.
La famille Sissoko »

Le 7 février 2021, une marche blanche était organisée devant la prison en hommage à Jimony et pour demander que la lumière soit faite sur son décès. La CGT pénitentiaire locale a alors publié un nouveau communiqué. Sans aucun égard pour le défunt et ses proches, les syndicalistes déplorent que cette marche n’ait pas été réprimée. Pour appuyer leur revendication répressive, ils dramatisent l’unique « incident » survenu. Ils regrettent aussi que les prisonniers qui ont bloqué la promenade à l’intérieur, en solidarité avec le rassemblement à l’extérieur, n’aient pas été tabassés ou sanctionnés, alors qu’en vérité plusieurs d’entre eux ont au moins été punis de cachot.

« Environ 300 individus se sont réunis devant notre établissement pour manifester leurs mécontentements. Ceux-ci ont eu accès au domaine jusqu’à atteindre les vitres de la PEP pour filmer les personnels à l’intérieur, les invectiver, cracher et taper sur les vitres. Aucune intervention des forces de l’ordre (…). Comme redouté, nos personnes détenues avaient prémédité cette action en parallèle à la marche blanche qui avait lieu à l’extérieur.
Résultats :
—  Réintégration pacifique accompagnée par les ÉRIS
—  Aucune mise en prévention
—  Aucun transfert
Pour rappel, lors de mouvement de personnels la Direction se déplace une seule fois mettant en demeure les agents et si ceux-ci ne rentrent pas les sanctions tombent immédiatement. Quel est le sens de ces oppositions, quel est le seul constat logique que nous faisons ? »
« CP Meaux – 2 poids, 2 mesures », communiqué de la CGT pénitentiaire de Meaux-Chauconin, 8 février 2021

La CGT pénitentiaire prétend qu’elle subit plus de répression que les prisonniers ?! Ou, plutôt, que les prisonniers n’en subissent pas assez ? Alors qu’un homme est mort dans la prison, que des centaines de personnes se mobilisent, quel est le sens de cet appel à la haine ?

En résumé : la CGT pénitentiaire demande toujours plus de répression contre les prisonniers et leurs proches, présentés comme des adversaires ; elle menace ouvertement tout collègue qui oserait affirmer que certains gardiens commettent des violences envers des prisonniers ; elle demande qu’un journal soit censuré en prison… et l’obtient.

Alors que la répression se durcit partout et que l’enfermement se généralise, sérieusement : pourquoi la CGT syndique-t-elle des gardiens de prison ?

Signé : une manifestante

Notes

[1] la fouille de cellule, mais surtout la fouille à nu est une pratique dénoncée par les prisonnier·e·s et les associations car humiliante et abusive

[2] pour un documentaire détaillé, écoutez ici : https://radioparleur.net/2021/03/29/jimony-rousseau-victime-de-violences-penitentiaires/

[3] Ce texte dans son intégralité, et des infos sur leur combat ici : https://www.facebook.com/pages/category/Personal-Blog/Justice-pour-jimony-345979273229881/
Proposé par raoule

https://lenumerozero.info/La-CGT-penitentiaire-un-syndicat-comme-les-autres-5207

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