La vie comme elle se floute

Article mis en ligne le 7 décembre 2020
par F.G.

On n’a rien à dire de Jupiter, dieu de la Terre et du ciel, sauf qu’un petit homme porté au pouvoir dans ce qu’il a interprété comme un alignement des planètes, a vraiment cru qu’il sortait de sa cuisse. Depuis bientôt quatre ans, sa manière toute personnelle, et très irrationnelle, de gouverner en attaquant sur tous les fronts à la fois, en ouvrant des brèches sans jamais les colmater, en changeant de cible au gré de ses caprices restera un cas d’école pour les futurs analystes de la Macronie disruptive. Car s’il est une singularité de ce petit homme devenu petit chef, c’est d’agir ou de s’agiter comme l’enfant-roi démolisseur qui prend plus de plaisir à casser ses jouets qu’au jeu lui-même.

Cela dit, tout le monde l’a compris, il y a du rationnel dans cette logique de casse systématique. Le jeu peut rapporter gros puisqu’il s’agit d’abord, au nom des intérêts supérieurs du capital et de la finance, d’abattre les derniers conquis sociaux qui tiennent encore debout et, en même temps, de décourager préventivement ceux qui, tout fous, se seraient mis en tête de reprendre à leur manière et sans retenue le flambeau de l’offensive sociale. Notre Fulminator l’a vite compris d’ailleurs puisque, ayant passé sans encombre la bataille sociale contre le « Pacte ferroviaire » du printemps 2018 – classique, malgré la combativité des bases et l’élargissement des « cortèges de tête » –, il lui fallut affronter la horde jaune de l’hiver 2019 qui, comme beaucoup d’autres, y compris dans les bataillons de l’anticapitalisme traditionnel, le prit au dépourvu. Dans un premier temps condescendant, puis pris de panique au point d’envisager sa fuite vers Varennes, le petit chef reprit vite ses esprits en espérant que le général hiver chasserait les insurgés de leurs ronds-points et assécherait leurs « actes ». Mais le propre d’un casseur, c’est d’éprouver sa jouissance dans l’instant où il casse. Et c’est ainsi que le petit chef a choisi la double voie du Grand Débat de sourds pour casser des réputations et du vrai carnage policier pour casser des êtres. Jamais depuis très longtemps, mouvement social de grande ampleur n’avait été aussi sauvagement réprimé que celui des Gilets jaunes. Si tout le monde déteste la police, c’est que chacun est en mesure d’attester, pour avoir vu ses Robocops à l’œuvre, que Macron la Casse, petit chef de tout, avait du sang sur le costard. Et ça fait deux ans que ça dure avec, chaque jour qui passe, un nouveau palier franchi dans la bestialité d’État, le sien, celui qu’il gère comme sa chose.

Avec le temps et dans l’épreuve, il a pris quelques rides, le quadra, mais rien perdu de sa morgue. Autant celle du Sarko à talonnettes pouvait, en face-à-face – « Casses-toi, pauv’ con ! » –, relever de l’autodéfense du complexé, autant celle de Macron la Casse, toujours froide et distante, est celle du narcissique de la haute qui ne doute pas une seconde de son génie. Il s’admire à un tel point, le petit chef, qu’aucun avertissement, même sérieux, n’a d’effet troublant sur l’amour qu’il se porte. A-t-il une réelle ambition politique ? On n’en est même pas sûr. Il joue la surpuissance dans un monde où, représenté par ce coq arrogant, la France, qui fut phare, n’est même plus bougie. Elle ne compte, désormais, que comme objet statistique systématiquement épinglé par diverses commissions internationales ad hoc listant ses atteintes aux droits de l’Homme. Et il y a de quoi faire ! Ce qui n’empêche pas le petit roi, notons-le, de donner des leçons de démocratie et de géopolitique à la terre entière et, juste retour des choses, comme récemment sur la question du « séparatisme », de l’islam et de la laïcité, de susciter à son égard un feu de critiques, ironiques ou courroucées, de l’establishment médiatique international. Car, hors frontières, tout le monde semble avoir compris que le seul talent (de figurant) dont dispose ce lynx de pacotille était celui de l’approximation impulsive, celle qui peut à tout moment mettre le feu aux poudres. Il suffit de lire, sur le sujet, la presse étatsunienne ou, sur sa gestion désastreuse de la crise sanitaire en cours, la presse allemande de son bord politique pour comprendre à quelle vitesse la crédibilité du macronisme est en train de partir en sucette.


Et puis voilà que, cerise sur le gâteau d’une année maudite, la Macronie parlementaire vient de voter en première lecture une loi dite « de sécurité globale » dont on ne sait plus, ce qui du reste importe peu, si le projet émane du raide Fauvergue, député Larem, de l’éborgneur Castaner, président de groupe, ou de Darmanin (de jardin), ministre de la Police plus que de l’Intérieur. Ce qu’on a vite compris, en revanche, c’est en quoi et pourquoi cette loi était liberticide et, plus encore, ce qu’elle disait de la sujétion du pouvoir à sa police.

Car là est bien le problème, et finalement le seul qui compte. Cette manière de gouverner qui est celle de Macron la Casse ne se met pas en mal d’imagination pour défaire ce qui l’irrite. II exige de sa police qu’elle remette de l’ordre dans un royaume où tout ce qui bouge doit être maté, quelle qu’en soit la manière. Et ce faisant, pour que force reste à la loi, c’est à cette force armée qu’il se livre, le petit chef. Car elle n’est pas à sa botte ; il est dans sa pogne. C’est parce qu’il lui doit tant, à cette police, depuis que les Gilets jaunes ont failli aller le chercher chez lui, qu’il lui lâche tout, et par avance. Il l’a exemptée des bienfaits supposée d’une contre-réforme des retraites dont personne ne voulait ; il lui a payé ses nombreuses heures sup’ de salariés du LBD, de la gazeuse et du canon à eau ; il l’a chouchoutée comme jamais au moindre de ses bobos ; il l’a portée au pinacle d’une République si répressive qu’aucun de ses projets de démolition sociale ne peut aujourd’hui se passer de ses concours et coups fourrés. Et tout cela de manière si massive, si évidente, que le « Police partout, justice nulle part » des manifestants contre l’Ordre bleu pourrait désormais remplacer, aux frontons du déshonneur, la fière devise d’une République qui naquit de la chute (violente) de l’Ordre blanc d’un Ancien Régime renvoyé par les foules haineuses de 1789 aux poubelles de l’Histoire.

Cette dérive hyperflicarde que la Macronie – cette engeance – a déléguée à des casquettés de préfecture au front bas, théoriciens de la nasse et adeptes du « visez la tête », aurait dû alerter, voir inquiéter, au plus vite – il y a deux ans donc –, tout ce que ce pays de la liberté de la presse et de la loi de 1881 comptait encore, au sein des rédactions de la presse écrite et télévisuelle, de défenseurs, non pas d’une possible révolution à venir, mais d’une garantie de ne pas finir journalistes accrédités par Lallement. Mais voilà, les journalistes, comme les intellectuels de salon, sont durs à la détente. Il fallut, ne l’oublions pas, une bonne année aux vérificateurs du Monde, l’organe de tous les pouvoirs, pour admettre que, ben oui, la police exagérait. Un an ! Le temps d’éborgner à tour de bras des Gilets jaunes qui, eux, avaient fini par s’admettre comme héritiers des sans-culotte. On ne parlera évidemment pas des Rizet de service des chaînes d’infos mainstream, dont on ne sait plus depuis longtemps s’ils sont flics ou journaleux, et moins encore des enfoirés de l’éditorialisme si grassement payé pour salir et diffamer celles et ceux qui, n’en pouvant plus de vivre dans la merde, finissent par devenir objectivement révolutionnaires, c’est-à-dire déterminés à abattre les privilèges. Il suffisait de les entendre : « Louis XVI on t’a décapité, Macron on peut recommencer ! » C’est clair, non, Patrick Cohen ? Si clair qu’on comprend que ça vous fasse frémir, même si la peur est toujours mauvaise conseillère en matière d’information non propagandiste.


D’un coup d’un seul, donc, la Profession, la même qui s’est toujours couchée devant le petit roi et ses chambellans, devant la garde armée et ses exactions, devant les mensonges d’un pouvoir obstinément aveugle à la misère et à la colère du peuple, semble aujourd’hui vent debout contre un seul article de cette loi de « sécurité globale » – le 24 qui, c’est vrai, empiète largement sur des prérogatives dont, par ailleurs, trop occupée à ne pas fâcher le pouvoir, la Profession n’a pas pour habitude d’abuser. On dira, à son crédit, celui qu’elle a perdu depuis longtemps, que c’est une question de dignité professionnelle. Mais on ajoutera dans la foulée qu’on comprend surtout que nombre de journalistes indépendants, à carte de presse ou sans carte de presse, ceux qui, depuis au moins deux ans, sont systématiquement réprimés, gardés à vue, diffamés, poursuivis, ne tiennent pas à être mélangés à cette Profession. Car, large de contours, l’entité journalistique englobe tout à la fois la lie du métier et le sel de la terre, des petits marquis couchés devant tous les pouvoirs et des soutiers de l’information réelle, celle qui filme le réel d’un matraquage en meute qu’aucun danger réel ne saurait justifier et dont, pourtant, l’image diffusée pourrait porter atteinte à l’intégrité physique ou psychique d’un quelconque bourreau matraqueur et devrait, en conséquence, n’exister que « floutée ». Comme le réel de la Macronie illibérale, autoritaire, policière.

La démarche éminemment corporatiste de la caste journalistique encartée tend donc à réduire cette loi scélérate à son seul article 24 – déjà retoqué, en cours de réécriture et probablement destiné à disparaître de ce dispositif législatif pour en intégrer un autre, le projet de loi censé « conforter les principes républicains », par exemple. Elle pourra, la Profession, présenter le retrait de cet article ou son abandon comme une victoire, quand chacun devrait savoir qu’il n’y a de victoire possible que dans le retrait global de cette loi « globale » de mise en coupe réglée de nos libertés les plus essentielles : filmer un flic quand il tabasse un manifestant ou un simple citoyen à terre, s’opposer par tout moyen au dronage généralisé de nos espaces, aux caméras de reconnaissance faciale, à tout ce qui nous avilit dans nos intimités, à toutes ces données qui serviront à alimenter la grande machine répressive d’un pouvoir qui a tout cédé à sa garde prétorienne parce que, sans elle, il ne tiendrait pas trois jours tant les colères qui montent sont puissantes.


À cet instant, on ne peut qu’avoir une pensée émue, mais caustique, pour les idiots utiles qui, le 7 mai 2017, ont voté Jupiter pour n’avoir pas Madame de Montretout. Finalement, ils ont les deux : le petit homme de la « sécurité globale » et la Montretout qui vote sa loi. À vrai dire, personne n’aurait imaginé, lors de sa marche vers la Pyramide, un tel destin caporaliste au souriant énarque ricœurien. Depuis le soulèvement des Gilets, en revanche, la vraie nature – authentiquement policière – du régime qu’il préside, toujours souriant mais souvent jaune, est actée. Depuis, les digues tombent une à une. On évitera d’en rajouter dans la qualification d’une dérive évidente vers le tout-policier. Le macronisme est d’abord l’expression presque parfaite du néant politique. Sans autres soutiens que la finance, le patronat, le CAC 40 et les startupeurs d’un nouveau monde de la paupérisation absolue et du détissage méthodique des derniers filets de protection sociale, son petit chef a mis le pays, à chacune de ses initiatives punitives et répressives, en état de siège permanent : contre les Gilets jaunes de l’hiver 2019, contre le mouvement social de l’hiver 2020, contre les opposants à sa désastreuse politique sanitaire de l’année Covid, contre les sinistrés sociaux des quartiers pauvres contrôlés et recontrôlés au faciès et traités comme des chiens, contre quiconque en somme conteste – et ça fait du monde ! – sa politique de destruction massive. Le pire, la preuve de son total égarement, c’est que Jupiterminator s’imagine sans doute que le primat donné à un maintien de l’ordre où toute bavure est d’avance permise et toujours couverte pourrait ramener à lui des électeurs égarés d’une droite perdue qui l’a cru de gauche. Pauvre type ! Pour cette droite privée de chef, son ordre, c’est la pérennisation d’un désordre institutionnel qu’elle déteste et que Macron la Casse organise à un point tel qu’il a déjà réalisé l’impensable : faire imploser sa propre majorité, humilier ses oppositions parlementaires de droite, redonner à la gauche de gouvernement un semblant de crédibilité contestatrice et conforter la gauche « de gauche » dans le rôle, dont elle rêvait, de dernier rempart du peuple. À vrai dire, tout ce qu’il fallait faire pour partir en cacahouète, le petit chef l’a fait.

Rappelez-vous : quand c’est flou, dit le proverbe, c’est qu’il y a un loup. Quand on veut flouter le visage du crime, c’est que le loup est déjà dans le palais. Si aucune pression n’a, pour l’instant, eut d’effet sur le petit chef du scélérat projet de « loi de sécurité globale » – ni la Défenseure des droits humains (on dit comme ça), ni les mises en garde de l’ONU et de l’Europe, ni la mobilisation de la presse institutionnelle, ni la levée en masse dans une infinité de villes du pays d’une colère infinie, la raison en est simple. On la répète : c’est que Jupiter ne peut pas plier sauf à risquer d’être plié lui-même par sa police. Car il suffit qu’elle range ses LBD et suspende l’envol de ses matraques pour que les toujours là Gilets jaunes aillent enfin le chercher chez lui, accompagnés de tous les dépossédés que la Macronie a rendu fous de vengeance sociale. C’est comme ça. Quand un pouvoir ne peut s’exercer que par sa police, c’est la police qui gouverne. Cette police est gangrénée par une haine si recuite qu’elle peut s’exprimer de cette manière :


Alors on fait quoi ? Vous les avez vu ces visages de cognes à la dernière manif parisienne du 5 décembre, en principe autorisée mais nassée de bout en bout, fragmentée par les flics en plusieurs tronçons transformés en champs de tir par les allumés du LBD ? Vous les avez vus, ces tronches où suintaient la haine et la peur ? C’est quoi, ça. C’est la police d’aujourd’hui ! Elle se croit tout permis. Et elle a raison puisque tout lui est permis et que ses « syndicats » majoritaires ne sont plus la voix de leur maître, mais les maîtres du jeu. Quand ils ont lâché Castaner, suspect de mollesse répressive, le petit chef l’a démis de ses fonctions. Quand ils ont voulu Darmanin, ils ont eu Darmanin. Le cœur de la Macronie, c’est sa police. Elle influe, elle décide, elle peut sanctionner à tout moment, par le zèle ou par la grève. Le réel c’est ça : un corps à l’esprit de corps, corporatiste jusqu’à la caricature, qui n’a de la République qu’une idée très vague. Car les types et les typesses qui le composent sont le produit d’une défaillance générale : celle qu’a produite depuis des décennies l’enseignement de l’ignorance de cette même République. La différence, c’est qu’ils ont, eux, elles, le monopole de la violence dite légitime, cette saloperie instituant la terreur généralisée que la police est en état d’exercer. La nouveauté réside en ceci : alors que l’État fut longtemps son donneur d’ordre et qu’il était capable, au gré des avanies, de lui tenir la bride ou de la lâcher, c’est désormais elle qui tient le manche et la cognée, sous la seule autorité d’une hiérarchie interne qui la couvre systématiquement et dont le casquetté de Paris, le bien nommé Lallement Kommandant, est le grand inspirateur. Avec lui, on est si loin de Grimaud, préfet de police de Paris en Mai 68 qui disait à ses hommes que « frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière », qu’on est en droit de constater l’abyssale distance qui sépare deux époques de pré-« guerre civile », mais surtout deux types d’hommes en charge de l’ordre bourgeois : un bon type et une canaille.

Cette police, les émeutiers la combattaient en mai 68, mais personne ne la détestait comme nous détestons aujourd’hui la nôtre, ce corps autonomisé, sans tête, sauvage, qui exige d’avoir le droit de mutiler sans qu’on filme ses exactions. Ce sont ses « syndicats » majoritaires qui ont nassé le petit chef, inspiré la « nouvelle méthode » de maintien de l’ordre et qui tentent d’imposer aujourd’hui cette infâme loi d’insécurité globale. L’État, c’est elle, et cet État est policier.

Au point où nous en sommes, dans cette merde où nous a mis Jupiter, celui qui allait nous délivrer du lepénisme, il faut bien admettre que l’histoire peut être, en même temps, farceuse et sanglante. Reste à tenir, coûte que coûte. Ce régime est au fond si faible qu’un grand vent de révolte sociale peut le balayer. Il le sait, d’ailleurs ; c’est même pourquoi, à l’abri de sa milice, il ne peut plus reculer. Et nous non plus !

Freddy GOMEZ

http://acontretemps.org/spip.php?article816

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.