Cédric Villani à GrenobleL’intelligence artificielle de La République En Marche

Il fallait Cédric Villani à la Maison du Tourisme pour tirer de chez eux des Grenoblois écrasés par 39° de canicule, ce jeudi 27 juin 2019. La réunion, intitulée «Intelligence artificielle et transition écologique: paradoxe ou opportunité?», était organisée par deux députés locaux de La République en Marche, Emilie Chalas et Olivier Véran. Ambiance de fan club, smartphones à bout de bras, rires et applaudissements à chaque allusion politicienne, bruyante réprobation de toute critique. Nous n’étions pourtant que trois Chimpanzés du futur à contester1 le mathématicien député Villani, président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) et auteur d’un rapport sur la stratégie nationale en intelligence artificielle «pour repositionner la France et l’Europe au premier plan de ces transformations et en saisir les opportunités2».En batteleurd’estrade, Villani délivre sa leçon de progressisme. Il se réjouit de «mettre ses talents de scientifique au profit du politique» car il faut à l’Assemblée des élus «capables d’aborder la complexité des questions technologiques et scientifiques». Il prône une attitude «pragmatique»à propos de l’IA3: la question n’est pas de comprendre les algorithmes (ni de savoir si nous voulons leur déléguer nos décisions, ajoutons-nous), mais de constater leur efficacité et d’en faire l’usage le plus profitable. Il compte sur Grenoble, retenue pour accueillir l’un des quatre instituts interdisciplinaires français d’intelligence artificielle (74 millions d’euros fournis par les impôts des Français), pour «produire des réalisations emblématiques» (hochements de têtes). «Couteau suisse multi-usages», selon Villani, l’IA permettra la transition écologique grâce à des logiciels pour gérer la sobriété et les économies d’énergie, ou des dispositifs pour aider les agriculteurs à faire leurs récoltes et détecter les maladies végétales, des robots désherbeurs et des colliers de bien-être bovin comme celui de la Ferme digitale qui « alerte quand une vache n’est pas heureuse». Seul problème, le coût écologique de ces systèmes : gabegie de terres rares et d’énergie. A nouveau, ses espoirs reposent sur Grenoble et ses compétences en hardware, qui travaillent à une plus grande sobriété: «Au CEA-Léti, ils parlentde gagner des facteurs mille!»On les voit d’ici, les ingénieurs du Léti, experts en extorsion de fonds pour leurs recherches, faire leurs «démos» au député à gilet. On les voit depuis des décennies; Villani n’est que leur dernier activateur de subventions à ce jour. Le député, bon collègue, ne leur en fait pas grief: lui-même n’était-il pas absorbé par la quête de financements pour son institut de recherche quand «on» l’a investi candidat à la députation? Ce n’est pas Olivier Véran, médecin et fils d’ingénieur grenoblois, dégoulinant de fierté de tutoyer le mathématicien, qui dira le contraire. On voit qu’il est utile d’élire au parlement des scientifiques «capables d’aborder la complexité des questions technologiques». Comme disait François Brottes, ex-député-maire PS de Crolles, désormais patron de RTE (Réseau Transport d’Electricité): «ça évite de se poser des questions métaphysiques4».1 Manque de chance, les champions de la «critique sociale», les «anti-capitalistes» et les militants contre«tous les systèmes de domination» de la cuvette craignent la chaleur. 2 www.cedricvillani.org/article/mission-parlementaire-mission-villani-sur-l-intelligence-artificielle3 «Intelligence» artificielle est abusif, en fait il s’agit de calcul-machine.4Le Monde, 17/04/2002, cité in Manifeste des Chimpanzés du futur contre le transhumanisme, Pièces et main d’œuvre (Ed. Service compris, 2017)2Place aux «questions». Ayant distribué à la salle un tract «Contre le monde-machine, restons libres et humains», nous, Chimpanzés du futur, dénonçons l’imposture des techno-scientifiques imposant leurs solutions aux ravages causés par leurs propres innovations.Evoquant Alexandre Grothendiek, génie mathématique et véritable original, nous rappelons sa conférence inaugurale au collège de France (1971) : «Science et technologie dans la crise évolutionniste actuelle: allons-nous continuer la recherche scientifique?». Huées du public exigeant «une question! la question!». L’intelligence artificielle, oui, l’esprit critique, non.Cependant la salle n’est pas remplie que de Marcheurs fanatiques; des participants se montrent sceptiques quant aux éco-miracles de l’IA. Nous signalons au mathématicien qu’une diminution en valeur relative de la consommation énergétique d’objets connectés toujours plus nombreux, n’équivaut pas à une diminution envaleur absolue. Et rappelons que nous, Chimpanzés du futur, ne voulons pas devenir ces humains diminués par des prothèses électroniques prenant leur vie en charge. «C’est compliqué », répond Cédric Villani. Le développement des techno-sciences est «consubstantiel à l’homme» et nul ne peut le freiner. Donc, mieux vaut faire l’IA nous-mêmes, «avec nos valeurs», que de laisser la Chine, la Russie ou les USA se l’approprier. «C’est une question de souveraineté.» Au fond, M. Villani pense comme Fritz Haber5: il faut «servir la science en temps de paix, la patrie en temps de guerre». Or nous sommes en permanence en guerre économique, technologique, voire militaire.Toute évolution technologique s’accompagne d’une perte de savoir-faire, reconnaît le député. Les chasseurs-cueilleurs nous considéreraient sans doute – à raison – comme des dégénérés. Mais c’est une évolution naturelle. On ne va pas regretter les caissières ni les gens qui désherbent dans les champs. On est contents d’avoir des machines pour ça. Chacun doit «organiser sa routine», conseille le prof qui doit lire trop de magazines féminins. Ainsi, lui n’utilise pas d’aide automatique à la rédaction de discours, mais suit les suggestions des algorithmes quand il consulte Internet. Bien sûr, il faut aussi en-ca-drer. «On n’arrête pas le développement mais on peut le contrôler avec des règles, des labels, des normes». Ouf, un comité d’éthique dédié à l’IA va bientôt intégrer le Comité consultatif national d’éthique. Rappelons que le CCNE fait évoluer les lois de bioéthique tous les cinq ans pour suivre les «avancées de la science». Attention toutefois, alerte le scientifique, en France on bride trop la recherche: la réglementation sur les données de santé empêche le développement d’applis très utiles, c’est un vrai «chemin de croix». Quant aux besoins croissants de la société numérique en électricité, «ils seraient plus que comblés si nous parvenions à optimiser le captage, le stockage et le transport de l’électricité solaire». Le CEA y travaille6. En attendant, notre scientifique méprise l’entropie de l’énergie et de la matière dans un système clos: notre Terre.Bref, conclut Villani pressé d’en finir, «c’est pas parce que c’est compliqué que c’est pas gérable». Applaudissements.Emilie Chalas, députée LaRem, candidate à la mairie de Grenoble pour 2020, tient à remercier «Cédric». Grenoble est une terre d’innovation, hélas marquée par«l’incendie de la Casemate (le Centre de culture scientifique, technique et industriel), dû à l’obscurantisme anti-développement technologique». «Nous avons besoin de la science en politique contre l’obscurantisme», d’autant, nous informe Chalas,que «les difficultés écologiques seront 5 Chimiste allemand, prix Nobel en 1918, concepteur de l’arme chimique pendant la guerre de 1914-186 Cf. Le soleil en face. Rapports sur les prétendues énergies alternatives, Frédéric Gaillard (L’Echappée, 2013)3transformées par la science». A condition bien sûr qu’on laisse les manettes des métropoles à des gens éclairés, suivez mon regard. Applaudissements.Retour en arrière. Cette réunionrépète les multiples conférences de propagande scientifique (OGM, nanotechnologies, neurotechnologies) du début des années 2000, quand nous contestions la tyrannie de l’expertise techno-scientifique sur les choix politiques. Même hostilité d’un public intolérant à toute dissonance. La culture grenobloise, c’est le fanatisme technolâtre, le refus de tirer des conséquences. Depuis, le thermomètre a grimpé, la critique du technologisme se diffuse et nul ne nous traite plus d’obscurantistes. Le «catastrophisme» est même devenu officiel, scientifique et tendance7. Mais le fantôme de Geneviève Fioraso plane sur cette soirée. L’ex-adjointe au maire PS de Grenoble Michel Destot, chargée de l’innovation, ex-ministre de la recherche de François Hollande, fut aussi députée de l’Isèreet son suppléant se nommait Olivier Véran. Membre de l’OPECST, elle est l’auteur d’un rapport sur le développement de la biologie de synthèse, dont les préconisations de Villani sur l’IA sont les clones. En 2006, Fioraso avait énoncé à propos des nanotechnologies cet axiome aujourd’hui recyclé par Villani : «Je préfère que ce soit nous qui les développions plutôt que la Chine». Quinze ans plus tard, chacun connaît la réalité : les nanotechnologies et la fabrique de l’homme-machine sont en plein essor en France et en Chine, comme dans tous les pays engagés dans la course à l’abîme. Il n’est pas jusqu’au fiel d’Emilie Chalas à propos de l’incendie de la Casemate et de «l’obscurantisme» qui ne rappelle les méthodes fiorasiennes. Quand elle était à boutd’arguments, l’ex-adjointe faisait mine d’avoir entendu «des propos racistes dans la salle». Merci à Mme Chalas pour cette bouffée nostalgique, bien digne du «nouveau monde». Quel que soit le parti au pouvoir, la technocratie, classe dominante du capitalisme techno-industriel, agit dans la continuité, au service de ses propres intérêts. Passent les élections et la course aux postes, on n’arrête ni le progrès technologique,ni ceux qui le cultivent et en tirent profit, prestige et puissance. La classe de l’avoir, du savoir et du pouvoir, la classe de l’expertise, qui réunit Geneviève Fioraso, Eric Piolle (maire de Grenoble, ingénieur chez EELV), Cédric Villani, les ingénieurs de l’institut grenoblois d’intelligence artificielle et le personnel dirigeant d’En Marche.Emmanuel Macron met en œuvre la doctrine saint-simonienne du remplacement du «gouvernement des hommes par l’administration des choses» d’autant plus efficacement qu’il dispose des moyens technologiques pour le faire. L’intelligence artificielle, comme le démontre le rapport de Cédric Villani, c’est exactement cela. Norbert Wiener, l’inventeur de la cybernétique après la Deuxième guerre mondiale, prétendait servir le bien de l’humanité en remplaçant les humains par des machines, c’est-à-dire en supprimant les faiblesses humaines. On a vu depuis qu’il s’agissait d’abord de supprimer les faibles. Tant pis pour les caissières qui font grève contre les caisses automatiques. Elles disparaîtront comme ont disparu les paysans, les ouvriers, les employés et tous les superflus. Vous souvenez-vous du thème de la soirée- «Intelligence artificielle et transition écologique: paradoxe ou opportunité?» – celui que devait traiter notre génial mathématicien, médaille Field 2010? Voici un demi-siècle, un autre mathématicien, Alexandre Grothendiek, médaille Field 1966, alertait non seulement les politiques mais surtout la population, contre la fuite en avant technologique, et fondait «Survivre et Vivre», l’un des premiers groupes 7 Cf. la mutation de l’émission scientifique «La tête au carré», sur France Inter, en émission «écologique»-«La Terre au carré»- à la rentrée 2019. Ou la programmation par la mairie de Grenoble de conférences du «collapsologue» Pablo Servigne.4écologistes en France.Alexandre Grothendiek ne portait pas de lavallière, ni de barbe à la Gainsbourg, il ne posait pas à l’excentrique ni à l’artiste, il ne se faisait pas élire député dans le parti majoritaire. Simplement il refusa le prix Crawford en expliquant que son salaire de chercheur était plus que suffisant et que les chercheurs en général jouissaient déjà d’assez de prestige social et de bien-être matériel, sans en recevoir davantage. En conséquence, il abandonnases postes scientifiques et se retira dans une petite maison des Pyrénées pour y vivre en ermite. «Le temps perdu pour la recherche est du temps gagné pour l’humanité.» Si Grothendiek avait été entendu à l’époque, en France et dans le monde, nous ne serions pas en train de débattre des moyens de notre survie avec des imposteurs du calibre de Cédric Villani. Il est vrai qu’il aurait fallu renoncer à notre mode de vie et de consommation, ce que les Marcheurs (en trottinette électrique) n’envisagent toujours pas.

Pièces et main d’œuvre Grenoble, 29 juin 2019

Lire aussi:Le laboratoire grenoblois: www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=resume&id_article=116et en Pièce détachée (brochure papier) n°4

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