Pour une vision renouvelée de la période des grèves de 1947

Publié le 9 août 2017
« Fin 1947, la France de l’après-Libération est secouée par une vague de grèves qui se développe et se clôt abruptement. Inclassable, ce conflit social, aux nombreuses implications politiques, est parmi les plus âpres du 20e siècle en France.

Tout commence à Marseille par l’arrestation, en novembre, de quatre militants de la CGT alors qu’enfle la protestation contre l’augmentation du prix des tramways. Les incidents s’enchaînent alors dans la cité phocéenne ; le Palais de justice est pris d’assaut après la décision judiciaire qui maintient les inculpés en prison. La journée se termine tragiquement : des « nervis » mitraillent les manifestants qui mettent à sac les boîtes de nuit du quartier chaud. Vincent Voulant, un jeune ouvrier, est tué. La grève se propage rapidement dans la région marseillaise. Dans les jours qui suivent, les mineurs du Nord et du Pas-de-Calais arrêtent également le travail et, bientôt, de nombreuses régions industrielles sont touchées. Le mouvement, ponctué de nombreux affrontements, ne prend fin que le 10 décembre.

Grâce à un accès inédit aux archives du Parti communiste et à celles de Jules Moch, le ministre de l’intérieur socialiste de l’époque, le livre éclaire les événements de l’année 1947, celle de l’expulsion des ministres communistes du gouvernement et des grèves ouvrières emmenées par la CGT et dans lesquelles certains ont voulu voir une tentative insurrectionnelle alors que commence la Guerre froide. »

Je reproduis la quatrième de couverture. 1947, il reste difficile de s’imaginer dans cette période afin de saisir des événements. Difficile de prendre en compte le poids et les effets du stalinisme, d’autant que les histoires écrites par les uns et les autres relèvent pour beaucoup de mensonges et de dénis, de recompositions au gré des événements de la mémoire des membres du PCF, de la vulgate qui persiste à assimiler « ce mouvement à une tentative insurrectionnelle communiste ».

Robert Mencherini souligne, pour cette réédition, la méthode employée, combinaison des analyses des représentations des acteurs et celles des données sociales et politiques, en travaillant sur plusieurs échelles (locales, nationales, internationales).

Je souligne, en premier lieu, la politique menée par le PCF depuis la Libération le « climat d’union nationale », la stratégie « résolument légaliste », la priorité donnée au redressement de « l’économie française » ou la « bataille pour la production » – « produire d’abord, revendiquer ensuite » – une politique de subordination des intérêts de la population à l’ordre de production capitaliste. (« Aujourd’hui, un tournant s’impose, un tournant pour le travail dans l’ordre républicain, un tournant pour créer une puissante armée…, un tournant pour un effort de production » – Pour rappel, l’armée française s’illustre de manière très « républicaine » dans les colonies, l’industrie reste bien capitaliste et les salarié-e-s ne contrôlent ni la production ni les orientations industrielles, quant à l’Etat républicain…). Cette « bataille de la production » est menée également par les syndicats…

Contre ces orientations et pour des augmentations de salaires, une grève débute à Renault Boulogne-Billancourt le 25 avril 1947, elle est « animée par des militants trotskistes », les mêmes traités hier par les staliniens – dont ceux qui ont soutenu le pacte germano-soviétique – d’« hitléro-trostkiste ». Le conflit s’étend, la CGT – hier en opposition à la grève – demande une prime de production – ce qui n’est pas exactement la même chose qu’une augmentation du salaire.

Robert Mencherini analyse les causes profondes de cette flambée de grèves, le développement des actions, « Novembre-décembre 1947 : quatre semaines qui bouleversent la France », les affrontements avec les non-grévistes ou les forces de l’ordre, la mise en place d’un Comité National de Grève (CNG) – qui contrairement à son nom, n’est pas une structure d’auto-organisation démocratique des salariée-es mais un organe de centralisation syndical -, le rôle joué par les militant-e-s du PCF, la transformation d’une crise sociale en crise politique, les tensions internationales, les politiques préconisées par les uns et les autres et particulièrement les changements de celles du PCF.

Ces grèves « font voler en éclats la politique d’union nationale », divisent les salarié-e-s et les structures syndicales, découpent les territoires. L’auteur montre l’engagement des « unitaires », le courant issu de la CGTU et majoritaire dans la CGT, le rôle volontariste du PCF. Il discute des divers foyers de contestation – grèves, entreprises, rues – et de la place centrale des Bourses du travail, parle des violences en précisant « il n’y a pas eu non plus d’utilisation d’armes ».

L’auteur poursuit avec l’éviction des ministres communistes du gouvernement, les conséquences en terme de division syndicale – dont la création de FO avec l’aide étasunienne, l’épuration « anticommuniste de l’appareil d’Etat », la répression, la baisse des effectifs des organisations syndicales…

« Le récit des grèves de novembre 1947, les formes d’action et d’organisation utilisées, leur coût particulièrement élevé en matière sociale, politique et économique, mettent en évidence qu’elles ne sont pas des grèves revendicatives ordinaires. Pourtant, et contrairement à une affirmation souvent avancée dans la polémique, elles ne sont pas non plus « insurrectionnelles ». »

Dans une seconde partie « Des complots et des revendications ouvrières », Robert Mencherini s’interroge plus particulièrement sur la combinaison des phénomènes qui permettent d’apprécier un événement. Il analyse donc à la fois le « mécontentement ouvrier » et la « tension internationale ».

Le Plan Marshall, la création du Kominform, deux « camps » antagonistes se dessinent. Cette dichotomie entre deux camps reste, pour moi, une division peu pertinente. Car ces deux « camps » défendent, certes des intérêts partiellement « antagoniques », mais contrairement à la prétention fantasmatique du second, il ne s’agit pas d’un affrontement entre un « camp » impérialisme et un « camp » socialiste – l’URSS de Staline ne peut en aucun cas et d’aucune manière être considérée comme socialiste… « Le Parti communiste français se situe nettement dans le camp stalinien ».

L’auteur décrypte la « thèse du complot communiste » pour en démontrer la non pertinence. Il rappelle que « le seul souci de Staline est de mener une lutte efficace contre les Américains et le Plan Marshall » et non de concourir à renverser le capitalisme en Europe occidentale – les populations grecques en sauront quelques choses !. S’opposer donc aux Etats-Unis mais pas aux bourgeoisies « nationales ». Les documents cités montrent bien l’hostilité de Staline aux grèves et à leurs développement.

Mais si la thèse d’un complot est un mythe, l’intervention des militant-e-s communistes – du PCF – dans les actions n’en est pas un. Le contraire serait d’ailleurs très étonnant. Le mécontentement « contenu depuis fin 1946 » est bien réel, la situation des salarié-e-s est partagée par bien des militant-e-s. Dois-je ici souligner que cette situation à bien quelque chose à voir avec l’« orientation d’union nationale, interclassiste », le choix de la « bataille de la production » et non celle de l’autonomie des salarié-e-s…

Quoiqu’il en soit, le PCF se considère avant tout comme « un parti de gouvernement ». Les liens entre les grèves et la crise gouvernementale ne manquent pas de susciter des débats. Mais les appels à la « responsabilité », la poursuite de la « bataille de la production » ne laissent aucun doute sur la stratégie du PCF. Les analyses de l’auteur me semble sur ces points très convaincantes.

Dans une troisième partie, l’auteur examine le « tournant abrupt » qu’effectue la direction du PCF et sa nouvelle stratégie. Robert Mencherini analyse, entre autres, la focalisation sur le « principal responsable » – non la droite ou le patronat… mais le Parti Socialiste, la non mise à l’ordre du jour de la grève générale, la création du Kominform et le PCF « mis en accusation », les adaptations/changements d’orientation, une « autocritique radicale et le véritablement tournant français » (comité central du 29 et 30 octobre), le « drapeau de l’indépendance française » – « L’axe le plus important, conforme aux désirs du Kremlin, est la lutte directe contre l’impérialisme américain qui veut coloniser la France » (ce que j’ai tendance à nommer le nationalisme cocorico), les affabulations sur la France pays colonisé (dans l’oubli des réelles colonies françaises), les réactions des militant-e-s, la défense combinée de revendications et de la « République » – non la république démocratique et sociale mais bien la république réellement existante)… L’auteur détaille « le poids de l’événement et le cas marseillais »

Dans la dernière partie, « Parti communiste français, stalinisme et mouvement social », Robert Mencherini discute de l’insertion du PCF dans la société française et de ses liens avec Moscou, des débats au sein du comité central, des critiques et auto-critiques, de la primauté donné à l’international dans sa version stalinienne, de l’insistance de Maurice Thorez « sur la nécessaire union nationale avec les patrons patriotes et autres, et sur la création et le développement de comités de défense de la République pour mener la bataille contre l’impérialisme américain », de l’enracinement du PCF dans la société française et de sa conception de l’ « internationalisme », de la primauté à « la défense de l’URSS », des conséquences pour ce parti du tournant de 1947…

Au delà de l’histoire et des analyses, il conviendrait de rediscuter des conditions pour essayer transformer des grèves en mouvements majoritaires, les conditions pour l’émergence et la consolidation des formes d’auto-organisation dans les entreprises et les territoires, la place des assemblées/coordinations/comités de grève dans l’organisation démocratique des actions, les conditions pour créer l’unité ou des fronts communs de luttes et/ou de solidarité… Cela passe au moins par l’indépendance syndicale, le respect des collectifs de salarié-e-s, le refus des instrumentations politiques ou institutionnelles et des débats d’orientation ouverts aux différentes positions, sans oublier le respect des choix faits par les « minoritaires »…

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De l’auteur :

Vichy en Provence, Midi rouge, ombres et lumières 2 – Une histoire politique et sociale de Marseille et des Bouches-du-Rhône de 1930 à 1950, chirurgie-lourde-et-non-simple-pansement-pages-dune-revolution-nationale-francaise/

La libération et les années tricolores (1944-1947). Midi rouge, ombres et lumières 4 – Une histoire politique et sociale de Marseille et des Bouches-du-Rhône de 1930 à 1950, ruptures-et-continuite-dans-lordre-social-et-colonial/

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Robert Mencherini : Guerre froide, grèves rouges

Les grèves « insurrectionnelles » de 1947

Parti communiste, stalinisme et luttes sociales en France

Editions Syllepse, Paris 2017 (première édition 1998),

https://www.syllepse.net/lng_FR_srub_65_iprod_57-guerre-froide-greves-rouges.html

Paris 2017 (première édition 1998), 366 pages, 25 euros

Didier Epsztajn

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