La Roya : un photographe de «Libé» malmené

Par LIBERATION — 21 janvier 2017
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L’intervention musclée des gendarmes au domicile de Cédric Herrou, le 19 janvier. Photo Laurent Carré

Lors d’une perquisition chez Cédric Herrou, un photographe travaillant pour «Libération» a été mis à terre par les gendarmes et empêché de faire son travail.

Jeudi soir, alors qu’il était en reportage pour Libération dans la vallée de la Roya chez Cédric Herrou, cet agriculteur récemment jugé pour avoir aidé des migrants à entrer en France, un photographe a été non seulement empêché de faire son travail, mais il a été par ailleurs malmené et même mis à terre par des gendarmes durant l’intervention, alors qu’il s’était clairement identifié auprès des forces de l’ordre. De telles pratiques sont inacceptables et la direction de Libération les condamne vivement. Nous avons demandé à Laurent Carré de nous livrer son témoignage sur ce qu’il s’est passé.

«Breil-sur-Roya, jeudi après-midi. Je profite du redoux au soleil sur une terrasse de la propriété de Cédric Herrou pour me faire détailler les circonstances de son interpellation la nuit précédente. Autour d’un plat de pâtes à la sauce tomate, Morgan, Lucille, Emile et Marie une infirmière venue apporter des soins à un jeune soudanais.

On plaisante sur les paroles de Cédric entendues quelques jours plus tôt, à l’occasion d’une réunion sur les suites à envisager pour faire face à tous ces jeunes candidats à une vie meilleure qui se trouvent hébergés chez des habitants de la vallée. «Bon, si ça continue, on va tous finir en prison. Il y a une audience de prévue en janvier, en février, en mars, en avril. Il n’y a rien en mai. Qui prend mai ?», avançait-il alors. Ce souvenir déclenche le rire général de la vingtaine de personnes présentes. Sauf Cédric lui-même qui est en garde à vue à ce moment-là.

A l’horizon, sur les reliefs nous faisant face, nous distinguons deux silhouettes marchant d’un pas lent. Je dis à Emile : «Tu vois ces gens, là-bas ?» «Des randonneurs», me répond-il. Des marcheurs un jeudi en fin d’après-midi… «Des randonneurs ou les RG ?», j’ose plaisanter. Emile avance : «Je m’attends à une arrivée des bleus d’un instant à l’autre.»

Je regarde mon portable. Un texto m’informe qu’un barrage de police est installé à l’ancienne douane. Je pars faire des images. En bas du sentier menant à la propriété, sept véhicules de gendarmerie, dont deux camionnettes, stoppent à cet instant. Quinze gendarmes se rassemblent au signal du chef de groupe. Ils sont casqués, avec visière, gilet tactique multipoches, tonfa, lacrymo et pince-monseigneur. Une dizaine d’autres gendarmes en uniforme et en civil se préparent également avec sacoche, mallette et dossier sous le bras.

La chef d’escadron de Sospel passe près de moi. Je tente d’engager la conversation au cas où un élément me manquerait. «C’est pas un peu disproportionné ?» Pas de réponse. Pour moi, plus haut, il n’y a qu’une infirmière, une jeune fille, deux gars en train de débarrasser la table et une poignée de (très) jeunes migrants. Pas d’ennemi public numéro 1, rien ne demandant un dispositif digne de la lutte contre le grand banditisme.

Les hommes se mettent en colonne en petite foulée. Deux gendarmes en civil équipés de brassards fluo s’adressent à moi : «Vous êtes obligé de prendre des photos ?» J’essaye une réponse générique : «Je fais mon travail Monsieur.» Nous poursuivons l’ascension vers le repaire des «malfaiteurs». Les hommes en noir se dispersent autour du poulailler, des ruches et des oliviers. Un chien aboie quand une voix venue de plus haut sonne la fin de ma progression : «Le journaliste, tu le fais redescendre !»

Ça doit être pour moi ça. Un gendarme vient à ma rencontre et me saisit le bras. J’essaye de faire des images, contestant tranquillement, quand un second m’attrape le bras gauche. Une subtile torsion arrière assez désagréable du bras plus tard, je me retrouve en bas sur ces sentiers escarpés.

Mes deux cerbères me relâchent près du bas de la piste : «Voilà vous restez là, vous n’allez pas plus haut.» Je lui fais observer que je me trouve sur une propriété privée et que j’y ai été invité. «Nous, c’est pareil, mais on s’invite», me répond-il. Je prends mon mal en patience attendant que la troupe redescende.

«La cheffe d’escadron arrive, elle va répondre à vos questions», fait-on savoir. Au travers des branches, je distingue Morgan précédé d’un gendarme en civil, puis Lucille suivie d’autres gendarmes.

Un gendarme me signifie vertement qu’il faut descendre maintenant. Je lui fais remarquer que j’attends sa patronne. Je fais des images des prévenus quand soudain j’entends : «Non, non, pas de photos», hurle le gendarme en civil. Je proteste et déclenche. Subitement le gendarme casqué me fiche au sol. Je déclenche de nouveau et un second casque entre dans mon champ de vision. Les bras associés saisissent ma main et mon boîtier. Ses doigts parcourent les touches de mon appareil photo.

Puis aussi soudainement que la tornade est arrivée sur moi, elle disparaît. Je me relève. Je rejoins les individus menottés sur la route nationale au trafic coupé pour l’occasion. Le gendarme en civil : «Je suis de Grenoble et on travaille souvent avec la presse et tout se passe bien», me dit-il, s’excusant à demi-mot pour l’attitude de ses collègues.

Les véhicules des deux prévenus sont perquisitionnés. «C’est perturbant que vous soyez là.» Je m’en excuse et lui assure que je ne cherche pas à interférer dans son travail. Au loin, je vois trois jeunes migrants, le visage grave, attendre qu’on leur ouvre la porte des véhicules les amenant vers un centre d’aide social à l’enfance. En remontant vers la maison, je croise l’infirmière les larmes aux yeux visiblement choquée. Elle me dit que les gendarmes sont entrés dans la maison en vociférant l’arme au poing.»
LIBERATION

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