La Grèce malade du démantèlement de son système de santé

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À quelques heures des élections législatives en Grèce que le parti de la gauche, Syriza, est en position de remporter, les Grecs essayent de survivre. Si tous les pans de la société sont détruits, la santé est particulièrement affectée. Reportage.

À l’entrée des urgences de l’hôpital Evangelismos, le plus grand de la capitale grecque, la file d’ambulances et de véhicules du Samu est sans fin. Ce flot continu semble ne pouvoir être absorbé bien que le personnel s’affaire, sans cesse. Pour essayer de sauver des vies, pour mener au plus vite malades et personnes âgées au bloc, pour les mettre sous oxygène dans une salle appropriée alors qu’il n’y a plus de bombonne disponible afin d’assurer la sortie des véhicules sanitaires.

Brancardiers, infirmières et infirmiers, médecins… courent dans tous les sens, évitant parfois de peu un futur patient qui, lui, fait la queue pour être vu par un interne. Combien sont-ils ? Impossible de compter. La file d’attente déborde largement sur le trottoir devant le hall d’accueil.

« Nous avions 135 hôpitaux en Grèce. L’objectif du plan “Santé 2020” est d’en avoir moins de 80 »

« C’est l’hôpital de permanence aujourd’hui, explique un ambulancier tout en déplaçant son véhicule pour céder sa place à un autre. Depuis la réorganisation, c’est tous les jours comme ça, partout. Seul le lieu change. » De l’après-midi jusqu’au lendemain matin, les urgences sont concentrées dans un des hôpitaux de la capitale, chargé, tous les quatre jours, d’assurer les permanences. Evangelismos, le plus grand d’entre eux avec 950 lits et 3.000 salariés, dispense toutes les spécialités sauf gynécologie, maternité et pédiatrie.

Cardiologue et président du syndicat des travailleurs d’Evangelismos, Ilias Sioras s’inquiète de la diminution constante des dépenses de santé. En 2009, elles s’élevaient à 23,2 milliards d’euros ; aujourd’hui, elles sont de 16,4 milliards. Le public est particulièrement touché. Son budget est passé de 16,1 milliards à 11,2 milliards fin 2013. Cette baisse brutale est avant tout liée à la politique menée en Grèce depuis 2010. Afin d’éviter le défaut de paiement, les gouvernements ont accepté des “aides” de la Troïka – en réalité, des prêts d’un montant total de 240 milliards – en échange de l’application d’un programme d’austérité. La santé est un des secteurs les plus affectés.

« Nous avions 135 hôpitaux en Grèce, aujourd’hui nous n’en avons plus que 115. Et l’objectif, dans le cadre du plan “Santé 2020” qui suit la stratégie UE 2020, est d’avoir moins de 80 hôpitaux dans le pays », déplore le cardiologue. Et de poursuivre : « Avant, la Grèce était dotée d’environ 200 centres en zone rurale. Seule la moitié fonctionne encore ».

« Les structures publiques deviennent des structures du privé »

Les conséquences se font aussi sentir en matière de personnel. Le secteur hospitalier public a perdu 15.000 salariés – médecins, infirmières et infirmiers, aide-soignants… « Il n’y a plus que 80.000 salariés dans le public. Pour remettre l’hôpital à flot, il faudrait augmenter le personnel soignant de 15.000 personnes et recruter 5.000 médecins. » Une perspective inenvisageable si les politiques menées sont poursuivies. À l’horizon fin 2015, le budget du public doit encore être amputé de 1,7 milliard ; celui du privé bénéficiera, lui, d’une légère augmentation de 0,3 milliard. « L’État se désengage de ses obligations, les gens payent de plus en plus. Petit à petit, même les structures publiques deviennent des structures du privé. »

La santé en prend un coup dans un pays où le malade doit de plus en plus mettre la main à la poche pour s’offrir les soins nécessaires. Un forfait a été introduit pour chaque consultation – non remboursable. Dans les hôpitaux, le manque de moyens oblige les patients à payer pour s’offrir une “infirmière privée”, ou leur famille à se relayer à leur chevet, à acheter couches, alaises… Et même les médicaments.

« Tous ceux qui viennent ici expliquent qu’ils ne peuvent plus aller voir de médecin privé, voire qu’ils ne peuvent pas acheter les médicaments. Mais l’hôpital n’en a pas assez. Nous sommes obligés de demander aux patients de se les procurer eux-mêmes », témoigne une infirmière du service cardiologie. En outre, dans ce pays où 25,5% de la population active est au chômage – soit 1,2 million de personnes – et ne bénéficie plus d’assurance sociale au bout d’un an sans emploi, Médecin du monde estime, en incluant les ayant-droit, que près de trois millions de Grecs sont aujourd’hui exclus du système de santé public.

« Le système de santé publique est démantelé »

« Le travail qu’ils font ici est formidable. » Nikos S. accepte volontiers de témoigner. Il est là pour se faire soigner gratuitement. Mais pas à l’hôpital. « Ni moi ni ma femme ne travaillons. Nous n’avons plus d’assurance. J’ai eu un problème cardiaque il y a quatre mois. Je suis obligé de venir ici pour les visites de contrôle et me procurer les médicaments. » Ici, c’est le “Dispensaire social métropolitain d’Ellinikon”. Il a été créé en décembre 2011 par un cardiologue, Giorgos Vichas, qui n’en pouvait plus de voir que la population n’avait plus accès aux soins. La première année, il y a eu 4.000 visites, et 38.000 au cours des deux années suivantes.

« Le nombre de chômeurs augmente et ils n’ont pas de couverture sociale ; le système de santé publique est démantelé. Même des salariés assurés sont déjà venus ici : ils n’avaient pas les moyens de se payer le ticket forfaitaire ou les médicaments », explique-t-il. Face à l’urgence, en Grèce, comme dans ce dispensaire, médecins, pharmaciens, infirmières et infirmiers, dentistes… et de nombreux autres bénévoles se mobilisent. Le lieu, qui fonctionne comme un véritable centre de santé, dispose de surcroît d’une pharmacie.

Sophia Tzitzigou est en charge de la pharmacie dans un autre dispensaire, dans le centre d’Athènes. « Si quelqu’un arrive jusque là, c’est qu’il en a besoin », souligne-t-elle tout en cherchant dans le stock si le médicament nécessaire est disponible. « Nous n’avons que du 40 mg, or le patient a besoin de 20mg. Il faut que je m’assure que nous puissions le couper en deux. »

« Le résultat positif de la crise est cette solidarité »

Car malgré les dons de particuliers et d’associations, certains médicaments viennent à manquer à tel point que « parfois, nous ne pouvons pas fournir jusqu’à la fin de la thérapie », poursuit la responsable. Un réseau s’est pourtant bien organisé pour faire face à l’ampleur du désastre humanitaire. “Solidarité pour tous” est son nom. Nombre de députés de Syriza et de syndicalistes y sont investis. Grâce à lui, les différents centres se relaient et font connaître leurs besoins.

« Pour moi, le résultat positif de la crise est cette solidarité. Nous nous rendons compte de l’importance de ces liens quand le gouvernement n’est pas là. Nous ne venons pas par philanthropie. C’est le résultat d’une réflexion. Vous savez, la dame qui attend pourrait être ma mère, mon amie… », conclut la pharmacienne, consciente que dans un pays où la pauvreté frappe désormais 24% de la population, il n’est plus une famille où le chômage, et parfois la misère, ne produise des ravages.

Devant la porte du dispensaire d’Ellinikon, Nikos S. dit, amère : « Les gouvernements précédents nous ont jetés à la poubelle. Je vais voter Syriza. Je ne sais pas s’ils ont des solutions, mais je veux que ça change. » Syriza, le souffle d’espoir sur une société malade, à bout de souffle.

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