Quand Les «Cons» Ne Sont Pas Musulmans : Une Étonnante Aventure De La Liberté D’Expression

Sébastien Fontenelle
Mardi, 30. Avril 2013 – 13:15

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Le 8 février 2006 – je suis bien certain que tu n’as pas oublié ce ravissant moment de créativité -, l’hebdomadaire néocon(servateur) Charlie Hebdo a publié, dans un grand renfort de publicité (les mecs s’étaient même filmés, durant qu’ils préparaient leur coup, puis sont ensuite allés vendre à Cannes leur[s] petite[s] bobine[s]), des «caricatures de Mahomet».

L’une d’elles, qui représentait un prophète consterné – car il trouvait accablant d’être «aimé par des cons» -, fut mise, plein cadre, en couverture de cet odoriférant numéro : cette une, visible partout dans les kiosques et (presque) partout reproduite par de consciencieux journaleux qu’émerveillait toute cette hardiesse, était en somme une espèce de grand «mur des cons» mahométans.

Elle délivrait donc un message d’une grande simplicité, qui présentait l’avantage certain de ne pas solliciter plus d’un demi-neurone, et qui pouvait se résumer comme suit : les musulman(e)s sont des crétin(e)s, merci, bonsoir.

Et de fait : le procédé fut longuement ovationné – jusque dans les recoins péniques de la société (où l’on avait, de vrai, pris déjà le pli de considérer que dans ces matières particulières, Charlie Hebdo ne disait pas du tout que des sottises, mon bon monsieur Mégret).

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Et certes : il se trouva, aussi, quelques commentateurs pour considérer qu’il était un peu répugnant.

Mais ces mauvais sujets furent (très promptement) ensevelis sous l’opprobre des avocat(e)s de médias (liste non exhaustive) de « la liberté d’expression », qu’outrait qu’on pût s’offusquer d’une excrétion islamophobe – et qui, retranchés sous les mânes de l’excellent M. Arouet, promirent (et jurèrent, et crachèrent, à qui mieux mieux) que jamais ils ne laisseraient museler Valtaire.

Ivan Rioufol, prédicateur vendredique chez Le Figaro (de Serge Dassault, de l’UMP), conscient peut-être qu’il tenait là une occasion de se coudre à (très) peu de frais un déguisement d’anticonformiste, fut par exemple, et avec d’autres, à la pointe de ce combat pour les valeurs : on devina, à le lire, que non content qu’il défendrait jusqu’à l’aube (rouge) – et durant que nous dormions, inconscient(e)s du péril (vert) – notre liberté de penser, il projetait, de surcroît, de protéger Poitiers contre les Sarrasins.

Et ce fut, disons-le, rassérénant : car nous sûmes alors que de vigilantes sentinelles veillaient au chevet de la démocratie, qui n’hésiteraient jamais (après les sommations d’usage) à tirer à vue sur les sommitaux salauds qui faisaient qu’à fomenter qu’on puisse plus rien dire, mâme Dupont – et pan dans la gueule de la boboterie bien-pensante made in canal Saint-Martin (75010, Paris).

Mais voilà que, la semaine dernière, un journaliste (pointu professionnel, connu de longue date pour son très constant souci de ne jamais se laisser aller à de trop marqués partis-pris) a volé, dans les locaux (privés) du Syndicat de la magistrature (SM), quelques images d’un «mur des cons» où de facétieux juges avaient accroché, pour se défouler (p*****, que ça fait du bien), quelques élégantes éminences des médias et de la politique.

Et voilà que ces images (par l’effet, probablement, de l’un des prodigieux miracles qui font dire à madame Boutin que la vie est décidément pleine de surprises divines) sont tombées dans les mains de naunautes réactionnaires…

…Qui ont aussitôt battu le rappel de leurs indigné(e)s de compagnie…

…Qui se sont, il va de soi, empressé(e)s d’hurler au scandale et d’exiger que des têtes tombent, dans un chœur où chacun(e) voulut rivaliser de fine intelligence…

…Et dans lequel, par exemple, le toujours pétillant Laurent Wauquiez (1) a très sérieusement demandé si le mur des cons du SM était un « mur des condamnés » – et s’il convenait, par conséquent, que ses accroché(e)s prennent le chemin de l’émigration, avant que les tuniques écarlates ne les envoient au goulag ?

Ce qu’oyant, je me suis dit que ça allait – si tu veux me bien me passer l’expression – chier velu dans la mal-pensance.

Je me suis dit que ces glapissements allaient mettre la bande à Val (et à Rioufol) dans un très grave état de colère – parce qu’ils trahissent, à l’évidence, que la leçon de 2006 n’a pas été du tout retenue, et qu’il y a encore, dans nos proches parages, des gros bâillonneurs de compète (façon police de la pensée de la tyrannie du conformisme) qui brûlent d’empêcher qu’on puisse librement exprimer l’hypothèse selon laquelle des con(ne)s continuent de voler en escadrille.

J’aimerais pas être à ta place, Laurent Wauquiez, j’ai pensé : tu vas prendre cher.

Tu vas manger long comme le bras des leçons de maintien sévères – et ça sera pas complètement immérité, parce que bon, c’est quand même un peu inquiétant (2) qu’à l’UMP vous en soyez encore à préconiser des réductions au silence.

Bref : j’attendais quelque chose d’un peu mouvementeux, du style grande levée de boucliers finkielkrautiens (et à l’arme, citoyen[ne]s, c’est Voltaire qu’on réassassine) – comme après que des rabat-joie avaient osé abuser de leur liberté d’expression pour protester, en 2006, contre la publication des caricatures de Mahomet.

Or : non.

Ce n’est pas du tout ce qui s’est passé.

Mais alors : pas du tout.

Comprenons-nous bien : il serait faux de prétendre que les – mêmes – fougueux défenseurs de ladite liberté qui avaient il y a sept ans bondi au secours de Charlie Hebdo se sont cette fois-ci tenu cois.

Bien au contraire : ils ont, de nouveau, donné de la voix – dans un chœur où la Pen a bien sûr mis son cri.

Et d’ailleurs, en même temps qu’on se parle : ils continuent de vociférer.

Mais, surprise (de taille) : c’est pour dénoncer l’incorrection du SM, et pour exiger qu’il soit promptement châtié.

Ivan Rioufol, par exemple, a semble-t-il rangé son costume de libre penseur, et exige désormais qu’on « juge » les impudents magistrats qui se sont permis d’user de la liberté qu’il réclamait naguère pour Philippe Val, car ce comportement, assure-t-il, « doit être sanctionné ».

Et bien sûr, ça m’a étonné – alors ce matin, en touillant mon café, j’ai pris une petite minute, pour examiner ce curieux changement de ton.

Et à la fin de cette exigeante méditation, je vois deux explications possibles à la volte-face de « nos » (3) voltairien(ne)s d’entour.

La première est que ces pointilleux intellectuel(le)s ont finalement décidé, avec sept années de retard (ou après sept ans de réflexion), mais mieux vaut tard que jamais, que c’était pas bien (et pas urbain) du tout, Raymond, de traiter son prochain de con…

…Et qu’ils s’apprêtent, si ça se trouve, et par conséquent, à pétitionner pour que l’État prenne contre Philippe Val et sa clique des sanctions rétroactives, avec effet immédiat : dis au revoir à France Inter, Phil, et estime-toi heureux que nous ne te demandions pas de rendre tes émoluments.

Mais à vrai dire : je n’y crois que peu.

La seconde possibilité, selon moi plus crédible, est que ces gens n’ont strictement rien à foutre de la liberté d’expression (comme le montre la fureur qui vient de les emparer), et qu’elle n’est que le (dernier) camouflage (en date) sous lequel ils planquent leurs (très) anciennes (xéno)phobies – de sorte qu’ils trouvent absolument nécessaire (et furieusement chic, et têêêllement iconoclâââste) qu’on puisse dégueuler tous les matins sur les musulmans, mais totalement insupportable qu’on puisse aussi trouver, qui sait, d’assez conséquents cons ailleurs que dans l’islam.

À ton avis ?

(1) Ne ris pas, je te prie, ce n’est pas très gentil pour M. Wauquiez.

(2) Je reconnais cependant que vous auriez tort de vous gêner – et de ne pas profiter de l’empressement de madame Taubira, qui a tout de suite obtempéré, quand vous l’avez sommée de rappeler à l’ordre les marxistes du SM.

(3) Façon de parler, hein ?

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