« Opération Wuambushu » à Mayotte : derrière le pétard mouillé, l’explosion sociale

 « Opération Wuambushu » à Mayotte : derrière le pétard mouillé, l’explosion sociale

On pourrait croire que la série de camouflets essuyés par le gouvernement depuis l’annonce de mesures visant l’expulsion massive des personnes en situation irrégulière à Mayotte, ralentisse les dommages sociaux qu’implique inévitablement l’opération « Wuambushu ». Il n’en est rien. Au contraire, Mayotte s’enfonce dans une crise majeure où perce de plus en plus visiblement le spectre d’une « guerre civile ». Retour sur 15 jours de chaos.

« Il faut peut-être en tuer ». Sur la voie dans laquelle est engagée Mayotte au péril de son avenir, il y a d’abord eu des mots. Ceux-là sont de Salime Mdéré, premier vice-président du conseil départemental. Prononcés sur une chaîne du service publique, Mayotte la 1ère le 24 avril, ils n’émeuvent plus sur le territoire tant ils sont le banal écho d’une haine aussi aveugle que quotidienne. Non, les élus de l’île, préféreront soutenir leur pair, excuser pour ceux qui l’admettent « la petite glissade » en la liant à la  tension qui règne. C’est oublier que le 1er vice-président n’évoque pas des chiens atteints de la rage, mais des jeunes qui errent en bande, inscrits dans une trajectoire violente que le Département n’a rien fait pour rectifier, préférant ignorer ses obligations d’aide sociale à l’enfance.

Surtout, les mots de l’élu entrent en résonance avec ceux bombardés sans relâche par des membres de Collectifs (1) aux relents xénophobes comme les députés Youssouffa – ex-présidente de collectif des citoyens de Mayotte 2018 – et Kamardine – baron de la droite locale – qui semblent plus soucieux de leur mainmise politique et de leur statut social que de l’intérêt plus général des Mahorais.

Cette élite le sait : une nouvelle génération née à Mayotte, française dans sa majorité, ne fera peut-être pas le choix de la docilité consentie par leurs parents pour tenter de préserver le peu qu’ils ont sur le territoire. Et c’est en ce sens que des mesures sont envisagées pour faire face à ce qui s’annonce être un danger. Ainsi Mansour Kamardine demande-t-il la déchéance de nationalité française pour les binationaux franco-comoriens qui critiqueraient les politiques à l’oeuvre. Ainsi Soula Saïd Souffou, conseiller départemental, écrit-il à Gérald Darmanin pour réclamer l’instauration de l’état de siège et l’intervention de l’armée. Ainsi, lui comme ses pairs réclament-ils l’abrogation du « droit du sol » à Mayotte. Des propositions camouflées de légalisme pour mieux étouffer encore toute tentative de remise en perspective des dynamiques sociétales. Et cette question jamais posée : alors que la moitié de la population est étrangère, que la moitié de la population a moins de 18 ans, qui vote ? Et à qui les élus doivent-ils rendre compte ? Sur le terrain, les édiles passent le relais aux « collectifs », lesquels collectifs ont déjà montré par le passé leur capacité… à brûler des maisons. 

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24 avril 2023, quartier Talus 2, Majikavo-Koropa, commune de Koungou. Dans l’après-midi, alors que les parents des familles requérantes du quartier Talus 2 sont au tribunal judiciaire pour plaider leur cause contre l’opération de destruction de leur quartier programmée pour le lendemain par la préfecture de Mayotte, des gendarmes mobiles en profitent pour contrôler les habitants restés sur place. Ici, le fils français d’un couple de requérants. Les habitants dénoncent des pressions quotidiennes, visant selon eux à les pousser à abandonner les lieux et leur lutte.

Dans ce cadre, « c’est l’opération de la dernière chance », pour une frange de la population qui a réussi depuis 2018 à devenir le seul interlocuteur des autorités étatiques, elles aussi vacillantes. Utile à tous, la fiction de l’invasion permet, chaque jour, de mettre en oeuvre une politique de harcèlement des populations pauvres souvent au mépris des droits. Ainsi 25 000 personnes sont expulsées annuellement du territoire sans autre effet que de marginaliser une partie toujours plus croissante de la population et d’étouffer tout espoir d’émancipation : l’ensemble ou presque de ces personnes reviennent au péril de leur vie car c’est ici, à Mayotte, qu’elles ont le petit peu qu’elles ont. Parmi elles, des parents qui préfèrent confier leurs enfants à des proches pour qu’ils puissent continuer, entre autres, à aller à l’école ou se faire soigner. Et parmi les expulsés, aussi, nombre de jeunes qui ne connaissent que l’île au lagon mais qui, passés 18 ans, décrochent un ticket pour être rejetés par-delà la barrière de corail. Ils reviendront inéluctablement, quitte à mourir. Ou à vivre dans un enchevêtrement de traumas.

Zenabou S. et sa fille, à l’entrée de leur maison située dans le quartier Talus 2 de Majikavo-Koropa (commune de Koungou). Zenabou et son mari Mahorais habitent dans le quartier depuis 25 ans et ont fait toutes les démarches pour régulariser leur occupation. Récemment, la mairie leur a même envoyé une lettre indiquant leur nouvelle adresse postale après révision du cadastre. Reste que, selon la volonté de la préfecture, le quartier est voué à la destruction.

Pour les populations non expulsables, on se contente de détruire des quartiers entiers ou plutôt « nos vies », comme l’exprime Fatima, maman comorienne d’enfants français, dont la maison érigée il y a 25 ans est sans cesse améliorée grâce à de petites économies de forçat. Liens sociaux, familiaux, économiques, accès aux services publics : tout cela est annihilé. « Pourtant il y a encore 40 ans, tout le monde vivait comme nous ici », rappelle-t-elle. Mais entre-temps, une distribution pour le moins opaque des terres s’est opérée, créant des sans-droits et des propriétaires. Sur les emprises « libérées », pas de projet immobilier accessible aux populations évincées – déjà 10 000 personnes. « Ils vont construire des maisons pour des riches et vont s’enrichir avec alors que nous on sera encore plus pauvres », résume encore cette maman qui sait son destin scellé. 

Voilà dans quoi s’inscrit « l’opération Wuambushu », traduite à tord comme la « reprise » en main du territoire* et dans laquelle État, élus locaux et collectifs combinent leurs forces et leurs méthodes. « Si l’un vacille, les autres tiendront » , c’est en somme le message que l’on peut retenir des deux premières semaines de l’opération de « la dernière chance ». 

Série de revers

Au premier jour, le 24 avril et sans surprise, il y a eu des émeutes. À Tsoundzou, au sud de Mamoudzou principalement. Aux scènes habituelles de chaos parsemées de pillages se sont toutefois ajoutés des éléments nouveaux. D’abord, l’intervention du Raid et de la CRS 8.

De l’autre côté, sur les collines et dans les venelles des quartiers une organisation plus visible se fait jour chez les émeutiers revêtus de combinaisons blanches. Dans la nuit précédente, ces derniers ont incendié les engins d’un chantier local, des policiers ont fait usage de leurs armes à feu « pour se dégager ». Au petit matin, les enfants du village sont au spectacle, commentant les va-et-vient des deux camps. « Ils [l’État et la police] veulent casser les maisons, c’est pour ça qu’ils [les jeunes] sont en colère et qu’ils ont brulé les engins », analyse Ahmed, 12 ans au milieu d’une rangée de copains. Pour la première fois, ces gamins habitués à gonfler le torse face aux autorités confessent avoir peur. « On sait pas quand ils vont casser les maisons mais on sait que ça va venir et les gens vont pas se laisser faire. Nous on sera au milieu, sans savoir où aller », poursuit Soihib, sans savoir où tout cela mènera. « La guerre peut-être, ça fait peur… ».

Au premier jour, toujours, le préfet Thierry Suquet est bien obligé d’admettre que le dernier navire transportant les expulsés de Mayotte vers l’île comorienne d’Anjouan a dû rebrousser chemin. Des deux côtés du bras de mer, les versions officielles changeront régulièrement pour expliquer l’absence de reconduites. Le colonel Azali Assoumani, en déplacement à Paris cette semaine, pourrait rencontrer son homologue français pour « négocier ». En amont, le dimanche 7 mai sur les ondes de RFI/France 24, Azali demandait « une pause » dans l’opération et assurait « ne pas céder au chantage » tout en étant « ouvert à la discussion ». À ce jour, les rotations maritimes n’ont toujours pas repris, coup dur pour le gouvernement qui avait déjà prévu de nouveaux locaux de rétention administrative pour expulser à tour de bras. Les expulsions sont donc bloquées, quid de la sécurité, thème vers lequel se déplace le curseur de la communication pour sauver les meubles ?

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Dès la veille de l’opération et une bonne partie de son premier jour, des jeunes dissimulés sous des combinaisons blanches ont affronté les policiers. Notamment le Raid et la CRS 8. Dans la nuit, les engins de chantier, soupçonnés d’être utilisés dans le cadre d’une destruction de quartier, ont été incendiés. Les jeunes du village qui assistent aux affrontements sans y prendre part comprennent la rage ainsi exprimée, certains acclament les émeutiers, rappelant que “ils [l’Etat, les policiers] veulent casser les maisons !” D’autres habitants, eux, se disent “tellement habitués” que pas tellement préoccupés. Matinée du 24 avril, Tsoundzou, commune de Mamoudzou.

Pendant la conférence de presse du 24 avril, tenue à Tsoundzou après les affrontements, une habitante du quartier vient interrompre le préfet pour le fustiger. « Vous êtes incapable de nous protéger! », s’indigne-t-elle alors que sa maison a été pillée par les bandes. La communication officielle prend un sérieux coup dans l’aile, tout comme les objectifs et le calendrier des opérations.

Le soir même, nouveau camouflet pour la préfecture : le tribunal judiciaire ordonne la suspension de l’opération de destruction du quartier Talus 2, situé sur la commune de Koungou (nord de Mamoudzou) où les habitants se sont engagés dans une lutte inédite pour le respect de leurs droits. Le quartier devait être détruit le 25 au matin et vidé de ses habitants qui, à l’image d’une vingtaine de familles, sont installés ici depuis près de 30 ans et autant d’années passées à faire toutes les démarches de régularisation. 

Dans les autres quartiers, où l’on sait que les relogements n’apporteront, s’il y en a, rien d’autre que quelques mois sous toit avant le néant, on préfère partir de soi-même et se cacher, pressés par les rotors d’hélicoptère en rase-motte au dessus des cases en tôle où sont exhibés des engins de chantier appelés à les écraser. Pour les autorités, les exodes internes auront la vertu de minimiser le nombre de relogements à proposer. Point sur lequel les juges se disent vigilants.

Mais à la veille de la destruction de Talus 2, la nuit tombée, les familles ne croient plus en la victoire dans leur combat contre Goliath. Alors, les David détruisent eux-mêmes leurs maisons dans la pénombre afin de récupérer tôles et chevrons, sauver ce qui peut l’être. Quand la nouvelle tombe. Coup de fil d’une avocate à la sortie du tribunal. Zénabou, qui décroche, se métamorphose et tend les mains vers le ciel. Scènes de liesses, sursaut de joie momentanée même si « le combat n’est pas terminé ». Et qu’il sera sans doute perdu…

Le 24 avril au soir, premier jour de « l’opération Wuambushu ». La destruction du quartier Talus 2 doit lancer la campagne « d’actions spectaculaires » promises par Gérald Darmanin. Face aux discours, aux patrouilles quotidiennes de militaires dans le quartier, les habitants ne croient plus en l’issue favorable de leur combat juridique. Alors, les familles détruisent elles-mêmes leurs maisons pour en récupérer les matériaux.

À l’issue de la dernière bataille juridique en date, le juge administratif des référés a laissé 48h à la préfecture pour fournir les preuves de propositions de relogements adaptés, obligation légale que les autorités ne remplissent régulièrement pas. Il aura fallu plusieurs mois donc et l’épuisement des requérants qui « n’arrivaient plus à manger » pour qu’enfin, la préfecture agisse « dans les clous ». 

Détruire à tout prix

« Impréparation », « pétard mouillé », les services de l’État sont raillés ou conspués alors qu’une armada d’envoyés spéciaux avaient rendez-vous en terre inconnue pour filmer « les actions spectaculaires » promises par Gérald Darmanin. Pour la préfecture, il faut à tout prix sauver la face. Pour l’aider, la porte-parole du ministère de l’Intérieur, Camille Chaize, est dépêchée sur place pour la riposte.

Jeudi 27 avril, la presse est ainsi conviée pour « une opération de lutte contre l’habitat insalubre » à Longoni (nord). Ceux qui connaissent le site savent qu’outre le chantier d’une maison en dur et quelques abris destinés à l’agriculture, il n’y a pas grand-chose de spectaculaire à y effectuer. Le préfet tente tout de même : « c’est aussi à travers des petites opérations comme celles-ci » que l’on tend à une « reprise en main » du foncier. En l’occurrence, la parcelle est destinée à être intégrée au chantier d’un futur lycée, l’intérêt public de l’opération ne semble pas contestable. Sauf que, les journalistes n’étaient pas les seuls à attendre le préfet et les engins. Une famille de Mahorais est bien déterminée à faire entendre sa voix. Ils se disent propriétaires de la parcelle et de la maison en construction. Surtout, ils indiquent ne pas avoir été concertés tandis qu’un seul membre de la famille, introuvable, aurait donné son accord à la préfecture indique cette dernière. Peu importe, trop tard, puisqu’il faut détruire à tout prix, les bulldozers entrent en action pour détruire la maison en construction. Encore une fois, l’opération de communication se vautre dans les terrains boueux de Mayotte.

Doujani (commune de Mamoudzou), au lendemain d’affrontements intenses entre les forces de l’ordre et des jeunes du quartier.

Face aux quolibets de certains et à l’exaspération croissante d’une partie de la population en attente de Wuambushu, énième tentative de sauver les meubles. Entravée dans ses opérations de destruction, empêchée de procéder à des expulsions, la préfecture met en avant le troisième pilier de l’opération : la lutte contre la délinquance. Car si ses origines, au premier rang desquelles l’errance d’une grande partie de la jeunesse sur le territoire sont éludées, il est indéniable qu’elle prolifère de façon inquiétante et touche l’ensemble de la population. C’est dans ce cadre, « qu’il faut peut-être en [des jeunes violents] tuer », intime le premier vice-président du département. Mercredi 26 au soir, à Doujani, au pied d’un quartier voué à la destruction, les policiers tirent à nouveau à balles réelles. Deux jeunes sont touchés. Dans ce quartier sensible de Mamouzdou comme à Bandrélé (sud de l’île), le lendemain soir, les participants livreront leur version des faits dans une concordance troublante. « Ils sont venus nous provoquer » clament-ils à l’unisson à des kilomètres de distance. Dans le premier cas, « on était posés à fumer la chicha quand ils ont débarqué pour nous dire de dégager », dans le second, « on faisait un petit voulé (repas traditionnel au feu de bois en extérieur) au terrain et ils ont débarqué, ils ont même mis des coups de pied dans les gamelles ». Filmés dans ce qu’ils assurent être une riposte, plusieurs jeunes ont été interpellés depuis. À Bandrélé, c’est aussi une liste de fauteurs de troubles présumés, rédigée par des habitants et transmise à la municipalité qui aurait facilité le travail des enquêteurs. 

Une quinzaine de jeunes de Bandrélé, village du sud de l’île, ont affronté les forces de l’ordre durant toute la nuit du 27 avril. Selon eux, les gendarmes mobiles seraient venus les « provoquer » alors qu’ils partageaient un repas.

De manière générale, les affrontements gagnent en intensité et en fréquence sans toutefois que l’île ne retrouve ses pires jours d’embrasement. Ce qui conduit à imaginer dans un futur proche un chaos généralisé alors que la rentrée scolaire est prévue mardi 9 mai. Chaos dans lequel toutes les forces sont amenées à s’entremêler. Ainsi, les collectifs soutenus par les élus locaux commencent-ils à mobiliser leurs troupes. Jeudi 27, un grand rassemblement est organisé à Chirongui pour soutenir l’opération Wuambushu ». Plus d’un millier de personnes y participent.

« Le problème c’est pas la nationalité, c’est le pouvoir »

« Pour ou contre Mayotte ? Il faut choisir ton camp », intime dès les premiers instants un groupe de mamans. La distance quant au regard à porter sur l’opération est proscrite et fait de celui qui la promeut « un ennemi ». Au sein d’une ambiance plutôt bon enfant – « on est en famille », considèrent nombre de manifestants, colorée de drapeaux français et de salouvas, les pagnes traditionnels, il y a aussi des treillis et des discours sans ambiguïté, que l’on préférerait parfois tus. Ainsi, une jeune femme au pantalon militaire et au kishali (châle) couleurs ylang, la fleur symbole de Mayotte accepte de témoigner. « C’est important, dit-elle, que des jeunes aussi puissent prendre la parole. Surtout ceux qui sont prêts à mourir… » L’explication n’ira pas plus loin, un colosse de deux mètres vêtu d’un gilet floqué « sécurité Codim [Comité de défense des intérêts de Mayotte » interrompt la discussion pour remonter en aparté les bretelles de la jeune militante. « Désolé, je peux pas en fait », s’excusera-t-elle en prenant le large.

« Ennemis », « guerre », « invasion », sont sur  toutes les lèvres, le regard porté sur les ressortissants comoriens ou les « droits-de-l’hommistes ». Sur scène, des élus prennent la parole. On ne s’étonne pas vraiment d’y voir Mohamed Bacar, le maire LR de Tsingoni et président des LR de Mayotte. L’homme est en campagne, il souhaite briguer un fauteuil de sénateur. Une volonté qui va être entravée par un élément : le 28 mars, le maire est à la barre du tribunal judiciaire de Mamoudzou. On lui reproche des marchés publics truqués au bénéfice de ses proches et… la vente au prix de trois euros le mètre carré de parcelles communales au bénéfice, notamment, de sa fille. En 2021, le maire justifiait le refus de scolariser des enfants de parents étrangers par le manque de places dans les écoles communales, et le manque de foncier pour en construire. Dans la dernière affaire en date, le procureur de la République a requis 24 mois de prison, 7 000 € d’amende et 10 ans d’inéligibilité contre l’élu qui, au micro ce jeudi apporte son soutien à Salime Mdéré et s’époumone contre « le remplacement de la population de Mayotte ».

Manifestation de soutien à l’opération Wuambushu, organisée par les différents « collectifs » de Mayotte à Chirongui (sud), le 27 avril. « Il faut choisir son camp », intiment les militants, oscillant entre humeur festive et discours guerriers.

Le terrain de foot résonne de prières militantes, des bols d’encens parfument l’espace vert, des personnes viennent régulièrement y lâcher une poignée de sel crépitant sur les braises : il s’agit d’un rite locale pour éloigner les ennemis. Les plus mesurées sont en tribunes, ou plutôt derrière les barrières du stade. Une maman évoque ainsi les difficultés d’une partie de la population pour expliquer les troubles actuels et « l’autoroute vers la délinquance » qu’implique les politiques actuelles. Ce qui ne l’empêchera pas de jurer que dorénavant, en tant que Mahoraise, « je ne me marierai plus jamais avec un Comorien », évoquant son précédent mariage et les deux enfants binationaux qui en sont issus. 

La crispation touche au plus intime : des couples mixtes se déchirent. « Nous les Anjouannais, on fait tout ici, au champ, sur les chantiers c’est nous. C’est même nous qui creusons les tombes des Mahorais alors qu’ils ne veulent plus que l’on soit enterrés dans le même cimetière », peste Mohammed alors que  sa femme par ses origines mahoraises se sent l’obligation de se ranger du côté des collectifs. « C’est tellement hypocrite, tous les mahorais ont de la famille comorienne, même les élus les plus fous », poursuit le père d’enfants binationaux. À l’appui de son discours, le mari de Zenabou, habitante de Talus 2 rappelle que ses parents et grands-parents sont tous nés à Mayotte. « Même son arrière-grand-père, ajoute sa femme. Il est plus Mahorais que n’importe quel élu ou membre des collectifs ! Le problème c’est pas la nationalité, c’est le pouvoir », souhaite-t-elle recadrer.

Mais quoi qu’il en soit, il faut choisir son camp. Ainsi, les manifestations « pro-Wuambushu » se succèdent, relayées sur les réseaux sociaux de la préfecture de Mayotte, laquelle a interdit la tenue d’un rassemblement contestant l’opération militaro-policière. Et la promesse de « passer à l’action » si la machine étatique se trouvait grippée de connaître ses premières illustrations. Mercredi 3 mai au matin, le navire qui opère les liaisons entre Mayotte et les Comores est bloqué par une trentaine de militants, essentiellement des femmes comme c’est souvent le cas sur le territoire. Le bateau est supposé transborder marchandises et médicaments vers l’île voisine d’Anjouan. Le groupe a été élégamment reçu par la préfecture.

Laquelle préfecture ne dit mot, alors que depuis jeudi, le dispensaire du centre de Mamoudzou où se rendent les non-assurés sociaux (l’AME n’existe pas à Mayotte) pour des consultations à 10 euros est bloqué par les mêmes activistes que ceux reçus la veille, membres du Codim et autres collectifs. Des patients, parents d’enfants malades ont été virés manu militari des locaux. Vendredi, au tour du seul hôpital de l’île d’être bloqué. Les forces de l’ordre sont bien présentes mais n’interviennent pas. Aucune autorité, pas même la direction de l’hôpital ou l’Agence régionale de santé ne prend la parole. Le silence est total, alors que dimanche, les collectifs se sont à nouveau donné rendez-vous à Acoua (nord). D’où ont une nouvelle fois résonné les cris et les mots de guerre. 

* Wuambushu tel qu’écrit de cette manière n’existe pas en maoré. Le mot s’en rapprochant le plus est un verbe, « uwumbushu », à connotation négative, désignant une action aventureuse voire arrogante produisant des dommages collatéraux. Une traduction qui colle étrangement à l’opération menée.

(1) À Mayotte on appelle “collectifs” la galaxie de groupes de militants à la tendance xénophobe assumée. Ces collectifs sont très écoutés par les élus locaux et interlocuteurs privilégiés de la préfecture, mais aussi par Gérald Darmanin qui les a reçus lors de sa dernière visite sur le territoire ou encore par Marine Le Pen pour laquelle ils militent au niveau national. L’ensemble regroupe différentes bannières comme le Comité de défense des intérêts de Mayotte, le Collectif des citoyens de Mayotte, le Collectif des citoyens 2018 dont la députée Estelle Youssouffa a été présidente, les Femmes leaders etc. Officiellement affiliés à ces organismes ou non, des groupes de militants se revendiquant de la même veine se sont illustrés par des actions “coup de poing” tels que des “décasages”, le blocage du service des étrangers de la préfecture en 2018, le blocage du dispensaire Jacaranda (centre de soins privilégié par les ressortissants étrangers en raison de son coût modéré, l’AME n’étant pas en vigueur à Mayotte), ainsi que celui de l’hôpital ces derniers jours.

Crédits photo/illustration en haut de page :
Bandrélé, le 28 avril 2023. (c) Grégoire Mérot

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