Deux activistes pour la préservation du plateau de Saclay relaxés

« Nous ne sommes pas en sécurité à obéir »

paru dans lundimatin#368, le 30 janvier 2023

Le 15 octobre 2021, à la suite d’un blocage de chantier à Saclay et dans le cadre d’une lutte pour la sauvegarde des terres agricoles du plateau de Saclay et contre la construction de la ligne 18 , deux activistes ont été placés en garde à vue puis cités à comparaître au tribunal d’Evry. Le lendemain, deux autres personnes étaient placées en garde à vue pour une action de protestation à la fête du KM9 [1]

[1] La Société du Grand Paris (SGP) organise des fêtes pour… à Massy. Lors de l’audience, deux mois de prison avec sursis étaient requis par la procureur. Les faits incriminés : avoir installé une banderole sur une grue sans commettre la moindre dégradation. Ce mercredi 25 janvier, les juges ont finalement opté pour la relaxe des deux activistes. A la suite du délibéré, l’un d’entre eux a rédigé cet excellent texte de réaction qui vient nous rappeler à quel point les révolte sont logiques et l’obéissance absurde.

Un compte rendu complet de l’audience et du délibéré est disponible ici

Nous ne sommes pas en sécurité à obéir

Les premiers mots de la Cour ont été ceux-ci : « ici on ne fait pas de politique, on établit des faits ». C’est une remarque qui a déjà été entendue lors d’autres procès d’activistes. Par exemple, lors du procès de l’action contre Blackrock – et certainement dans de nombreux autres.

Cette affirmation est discutable. En réalité, nous aussi, nous aimerions ne pas faire de politique.

Lorsque Isaac Newton voit une pomme tomber de l’arbre et en construit sa théorie sur la gravitation universelle, il ne fait pas de politique. On peut mesurer la force de l’attraction terrestre, on peut mesurer une constante universelle de gravitation : 6,67 × 10−11 m3.kg−1.s−2 On peut discuter avec la pomme autant qu’on veut, on peut négocier avec elle autant qu’on veut, mais si on la lâche, elle tombe – et cela, quelque soit le résultat des négociations ou de la politique qu’on a pu mettre en place avec elle.

Lorsque les rapports du GIEC mesurent que les risques de chaos climatique au- delà de 1,5 °C sont trop graves pour qu’on provoque ce genre de réchauffement, on peut faire autant de politique qu’on veut, mais le résultat sera exactement le même. Lorsque les résultats de l’IPBES mesurent l’effondrement de la vie sur Terre, on peut parler autant qu’on veut avec les oiseaux morts pour les convaincre de voter à gauche ou à droite, malheureusement, iels restent mort.e.s.
Une réaction saine à ces études serait de mettre en place des normes de sécurité pour se protéger des conséquences mesurées.

Lorsqu’on monte dans une grue, on regarde la résistance du matériel qui nous tient en vie en cas de chute. Quelles forces de choc peuvent encaisser la corde, le baudrier, les mousquetons ? Ce sont des normes de sécurité qui sont définies et qui doivent être respectées.
Si on me donne un cheveu en guise de corde pour m’attacher en haut d’une grue, je n’y monte pas. Ce n’est pas de la politique. Simplement, je ne suis pas suicidaire, et je souhaite vivre encore longtemps. Si je fais une connerie, je peux tomber, donc j’ai une sécurité.
La différence avec la Terre, c’est qu’on est beaucoup plus certain de la chute.

Lorsqu’un gouvernement décide de réaliser des projets qui vont complètement à l’encontre des préconisation des scientifiques, comme c’est le cas avec la ligne 18 à Saclay, c’est comme si on décidait d’attacher la sécurité du territoire et de la Terre avec un cheveu à la place d’une corde.
Lorsque le gouvernement (ou une entreprise) se targue d’avoir accroché non pas un mais deux cheveux en guise de sécurité, cela s’appelle du greenwashing. de l’obscurantisme – ou une provocation.
Mais on peut aussi appeler ça : « un suicide collectif ».

Cependant, encore une fois, je ne suis pas suicidaire. Je ne souhaite pas que l’on m’impose un suicide collectif. Par conséquent, je ne vais pas suivre cette direction, cette petite vie tranquille, et je me rebelle chaque jour contre elle, avec la volonté de sauver le maximum de monde de ce suicide collectif.

Que ce soit Extinction Rébellion, le Collectif contre la Ligne 18 ou encore les Soulèvements de la Terre qui co-organisaient l’événement d’octobre 2021, ces entités ne sont pas partisanes. Nous essayons simplement de dire la vérité – et d’être entendu.es.
À Saclay, nous défendons le fait scientifique. Il n’est pas question de négocier avec le résultat des études, de trafiquer des coefficients d’un rapport à l’autre, de passer sous silence l’avis des citoyen.ne.s et des associations, ou les dégâts déjà observés et observables. Il s’agit simplement d’être honnête, de ne pas se mentir.

Lorsque M. Macron souffre d’amnésie au point de se demander : « Qui aurait pu prédire la crise climatique ? », je m’inquiète de sa santé. Cette amnésie est grave, je me souviens encore l’entendre dire « Make our Planet Great Again ». Peut-être n’est-il pas en bonne santé. Peut-être même n’est-il déjà plus en état de gouverner ? Cette question n’est pas posée dans un cadre politique. Elle repose sur une interrogation de diagnostic médical.

Que ce soit les mesures et les conclusions de scientifiques apolitiques, les verdicts des Cours de justice apolitiques, ou un diagnostic médical apolitique, tout cela rentre en réalité bel et bien dans le champ politique. Disons que cela a des conséquences politiques.

Amener des activistes devant une Cour de justice et les menacer de prison au motif d’avoir installé une banderole dans une grue a bel et bien des conséquences politiques. Cela, que ce soit voulu ou non par la Cour.
Je n’ai jamais voulu faire de politique, et certainement pas en sortant d’études en écologie où on m’annonçait un futur catastrophique. J’espérai simplement pouvoir appliquer dans mon travail les résultats d’un fait scientifique établi. Malheureusement, nous en sommes encore à faire de la politique avec la pomme, à lui demander de bien vouloir faire tomber les bulletins dans l’urne à gauche ou à droite, à bien vouloir léviter, parce que là, l’économie et la finance trouvent que ça coûte trop cher de la tenir à bout de bras, et les 1,5 °C on les aura certainement déjà en 2030.
Si le fait scientifique n’arrive pas à trouver une prise et à entraîner des conséquences dans le champ politique, alors il est inconcevable d’imaginer une humanité prospère, ni aucune trajectoire d’aucune entreprise, d’aucune institution, d’aucun pays ou continent qui mène à autre chose que l’effondrement.

Cela fait des décennies que les méthodes institutionnelles patinent en écologie. Nous ne savons pas ce qu’il faut faire pour que les faits scientifiques prennent enfin prise dans la réalité politique.
Contraint.e.s par la situation, nous, activistes, tentons d’autres méthodes – en dehors du cadre, par nécessité de survie.
Aujourd’hui la justice a décidé la relaxe pour cette action. Remercions-en là. C’est une chance qu’il reste des garde-fou à la folie dans ce pays. Mais pour combien de temps encore ? L’urgence est partout, et le gouvernement s’acharne à nous barrer la route. Il n’est plus l’heure d’obéir. Nous ne somme pas du tout en sécurité à obéir. Nous sommes en danger.

[1] La Société du Grand Paris (SGP) organise des fêtes pour marquer l’avancée des lignes du Grand Paris (payées directement par de la dette publique). À Massy, nous avons pu constater que des bus gratuits étaient affrétés et que des classes entières d’élèves étaient invitées pour chanter et pour donner un nom au tunnelier qui venait d’être mis en place. Radio Nova participait à la retransmission de l’événement. Étant donné les nombreux prospectus distribués à la gloire de la ligne 18, la communication visuelle omniprésente dans l’espace publique et les réunions de pseudo-concertation dérisoires, nous estimons qu’à Massy cette fête tenait plus de la propagande d’État que d’autre chose. Les personnes présentes se sont montrées très intéressées par la lecture des tracts que nous avons distribués sur place. Pour la plupart, elles ignoraient l’existence d’une opposition à la ligne 18 sur le plateau de Saclay.
NB : les forces de police ont commencé par empêcher la diffusion d’un certain nombre de tracts aux abords de la fête – tracts qui ont été confisqués. Par conséquent ce jour là, il est apparu que nous n’avions pas d’autres solutions que la désobéissance civile pour pouvoir nous exprimer.

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