La colère et la honte

A propos du naufrage de novembre 2021 et des « secours » français

par Sebastien Fontenelle
15 novembre 2022

Ce dimanche, 13 novembre 2022, Le Monde a mis en ligne un article consacré aux « investigations sur les conditions du naufrage » dans lequel 27 migrant·es ont trouvé la mort dans la Manche, durant la nuit du 23 au 24 novembre 2021.

C’est un papier extraordinairement dur – pour ne pas dire insoutenable. Un papier dont la lecture fait venir des larmes – de dégoût et de rage. On regrette pourtant qu’il soit – pour le moment – réservé aux seul·es abonné·es du quotidien du soir, car il dit beaucoup des temps que nous vivons et subissons, et de l’inhumanité vers laquelle nous entraînent les brutes qui les façonnent.

Cette « enquête » dont Le Monde a pris connaissance est « accablante » pour «  les secours français ». Nommons-les plus précisément : il s’agit du Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage maritimes (Cross) Gris-Nez (Pas-de-Calais), qui est «  composé de militaires » et placé sous « l’autorité du préfet maritime de la Manche et la mer du Nord ».

Pendant des heures, ces gens ont reçu des appels de détresse, toujours plus désespérés, des trente-trois migrants entassés sur un misérable bateau « cassé ». Entre 2 heures 43 et 4 heures 22, les passagers de cette embarcation qui prend l’eau appelleront pas moins de quinze fois les Français, qui, plutôt que de leur envoyer du secours, leur enjoignent encore, à 4 heures 23 du matin, alors même qu’ils meurent, «  d’appeler » plutôt « le 999 parce qu’ils se trouvent  », selon le Cross, « dans les eaux anglaises ».

Comble d’abjection, l’enquête révèle qu’une opératrice a d’abord dit, en aparté, après qu’une communication a été coupée : « Ah ben t’entends pas, tu seras pas sauvé. “J’ai les pieds dans l’eau“ ? Ben… Je t’ai pas demandé de partir. » Puis encore, un peu plus tard, et dans un autre aparté : « Je vais lui sortir la phrase magique : pas de position, pas de bateau de secours. »

Ce même dimanche 13 novembre, M. Véran, ministre délégué chargé du Renouveau démocratique et porte-parole du gouvernement d’Élisabeth Borne (où il sert à côté d’un M. Darmanin qui se fait une crâne fierté de la fermeté dont il fait preuve contre les migrant·es) a déclaré d’un ton grave, sur BFMTV, que «  la France se devait d’accueillir l’Ocean Viking  » – ce bateau chargé de migrant·es secourues par de l’ONG SOS Méditerranée qui a erré en mer pendant trois semaines avant d’être finalement autorisé à accoster à Toulon.

Puis d’ajouter : «  Nous ne pouvions pas mettre en danger des femmes, des hommes et leurs enfants.  »

Il y avait notamment six femmes et une fillette parmi les 27 corps qui ont été repêchés dans le détroit du Pas-de-Calais le 24 novembre 2021.

Parmi ces personnes en danger de mort auxquelles la France n’a pas porté assistance – parce que « pas de position, pas de bateau de secours ».

M. Véran devrait apprendre la décence : elle lui aurait évité, ce dimanche 13 novembre, d’ajouter une immense colère à notre immense honte.

https://lmsi.net/La-colere-et-la-honte

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