Pourquoi les services d’urgence ferment-ils les uns après les autres ?

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Maïa Courtois

À partir du mardi 7 juin, plusieurs syndicats de la santé ont déposé un préavis de grève nationale. En première ligne, les infirmières et médecins urgentistes. Ces dernières semaines, la multiplication des fermetures de services d’urgence met en lumière ce que les syndicats et associations professionnelles dénoncent depuis des années. À savoir, le manque de moyens pour assurer un service public fonctionnel. Les conséquences en matière de démissions et d’épuisement du personnel atteignent aujourd’hui un seuil inédit. 

« En quelques semaines, on est passé 70 services d’urgence fermés à 120 », expose Cédric Volait, animateur du groupe de travail national de la CGT sur les services d’urgence. Une cartographie réalisée par la CGT comptabilise ces services fermés, ou menacés de l’être. Le syndicat Samu-Urgences de France recense, lui, « des difficultés dans 120 services d’urgence, avec soit des fermetures complètes la nuit, ou des organisations dégradées » précise Louis Soulat, vice-président du syndicat et responsable des urgences du CHU (centre hospitalier universitaire) de Rennes. 

À partir du mardi 7 juin, neuf organisations ont déposé un préavis de grève nationale, avec l’accent mis sur l’état des urgences. La pression monte pour le nouveau gouvernement. Ce « problème doit désormais être pris à bras-le-corps », prévient l’Association des petites villes de France dans un communiqué du 27 mai. Et ce, « sous peine d’une crise sanitaire très grave ».

L’été attise toutes les craintes. Chaque année, c’est une période d’augmentation des entrées aux urgences… Et de départs en congés du personnel. « Il y a déjà eu des morts, il y en aura d’autres », alerte Cédric Volait, également coordinateur régional CGT Santé et Action Sociale en Provence-Alpes-Côte d’Azur.

De fait, les fermetures récentes interviennent « y compris dans des CHU et des grandes villes », note-t-il. C’est le cas des services d’urgence à Bordeaux, fermés la nuit, depuis le 18 mai. A partir de 20h et jusqu’à 8h du matin, seuls les patients acheminés par les pompiers ou orientés par le 15 y sont pris en charge. « Personne ne s’attendait à cela dans une agglomération qui compte près de 800 000 habitants. Nous, nous ne sommes pas étonnés », soupire le responsable syndical. C’est le cas aussi à Grenoble, ou Marseille.

« C’est nouveau dans l’intensité et la précocité par rapport au mois d’été », explique Louis Soulat. « Cela confirme un vrai malaise dans l’hôpital ». Dans un courrier adressé à la nouvelle ministre de la Santé Brigitte Bourguignon, le Samu-Urgences de France dénonce une situation « sans commune mesure » avec les années précédentes. 

« On tire sur la corde, et à un moment tout s’effondre »

Comment expliquer cette multiplication des fermetures ? Par le manque de personnel. « Nous étions déjà en sous-effectif, ce qui a entrainé des fermetures de lits. Aujourd’hui, nous avons des démissions en masse, des gens qui abandonnent le métier » constate Christophe Prudhomme, porte-parole national de l’association des médecins urgentistes de France. Les soignants sont « lessivés, en arrêt, ou ne veulent plus faire de temps additionnel. Les conditions sont inacceptables, avec trop de patients, pas assez de lits », confirme Louis Soulat. 

Pour les syndicats, ces démissions sont le symptôme du mal. Pas sa cause. « Depuis la canicule de 2003, nous disons que nous n’avons pas assez de lits. La surcharge de travail engendrée fait que nous ne pouvons pas assurer la sécurité des patients. Les gouvernements successifs ont sciemment créé cette pénurie de personnel, parce qu’ils voulaient fermer des lits », retrace Christophe Prudhomme. « Cela fait 30, 40 ans qu’ils dégradent nos conditions de travail, les moyens dans les hôpitaux, la formation des médecins… », abonde Cédric Volait. 

En plus du manque de moyens pour assurer la sécurité des patients, les conditions de travail épuisent le personnel. Dans les urgences, les infirmières doivent par exemple « travailler en horaires décalés, le week-end, les jours fériés, pour à peine un SMIC », décrit Christophe Prudhomme. « Il y a un tel taux d’abandon qu’ici, en Ile-de-France, on compte moins d’infirmières diplômées qu’en 2015 ».

La crise sanitaire, avec le Covid-19, est venue parachever cet épuisement. La pandémie est survenue « au moment où l’hôpital public était déjà mobilisé pour des embauches, des augmentations de salaires, et contre les fermetures de lits » rappelle Christophe Prudhomme. Le gouvernement y a répondu par les accords du Ségur, signés à l’été 2020. Ces derniers ouvrent droit à une prime de 183 euros net par mois pour le personnel de santé. « Mais ces 183 euros ne sont pas pour tout le monde. Et rien sur les embauches. Rien sur les lits », souligne Christophe Prudhomme. 

Nos interlocuteurs décrivent aujourd’hui un « effet seuil ». « On tire sur la corde, et à un moment tout s’effondre », résume le médecin urgentiste. 

Un dialogue rompu avec le ministère ? 

La nouvelle ministre de la Santé, Brigitte Bourguignon, a assuré qu’elle s’emparait de ce dossier brûlant. Ce mardi 31 mai, elle était en déplacement avec Emmanuel Macron aux urgences de Cherbourg. Le président du Samu-Urgences de France, François Braun, a été auditionné par la ministre ce week-end.

Mais d’autres syndicats et associations professionnelles déplorent une absence de dialogue. « Il n’y a rien, aucune écoute, depuis deux ans », fustige Christophe Prudhomme. Sud, CGT, CFE-CGC, collectif inter-urgences, association des médecins urgentistes de France… Depuis les négociations autour du Ségur, aucun des organisateurs de la mobilisation du 7 juin n’a eu de réunion de concertation avec le ministère. « Quand on manifeste, on est reçu par des sous-fifres qui n’ont aucun pouvoir de négociation », affirme le médecin urgentiste, qui dénonce un « mépris ».

Sollicité pour en savoir plus sur les pistes de travail envisagées, le cabinet de la ministre de la Santé n’a pas, pour l’heure, donné suite. « Il y a une absence de réponse gouvernementale, dans le cadre d’une politique organisée de destruction du service public. Et ce, au profit du privé à but non lucratif », analyse Christophe Prudhomme.

« Ils se servent du chaos qu’ils ont eux-même créé pour mettre un nouveau système en place », estime pour sa part Cédric Volait. La nuit au CHU de Bordeaux, désormais, « des secouristes bénévoles de la Protection Civile font le filtrage à l’entrée des urgences. Ils vérifient que les personnes ont bien appelé le 15. Ce n’est plus un service public accessible 24h sur 24h ». Le responsable syndical souhaite pointer les responsabilités individuelles de ceux qui ont pris ces décisions. Il envisage de mobiliser le motif juridique de « perte de chances par défaut de moyens ». Celui-ci ouvrirait un droit à réparation pour les patients.

La CGT dit « ne rien attendre » de la nouvelle ministre de la Santé. « C’est elle qui gérait les Ehpad jusqu’à maintenant. On a vu sa gestion catastrophique », balaie Cédric Volait. Les neuf organisations à l’origine de la mobilisation du 7 juin ont tout de même demandé une réunion au ministère. Elles exigent l’arrêt de cette déferlante de fermetures. Mais aussi le lancement d’un plan national de 100 000 recrutements à l’hôpital. Pour le moment, aucun rendez-vous n’a été acté, nous indique-t-on.

https://rapportsdeforce.fr/classes-en-lutte/pourquoi-les-services-durgence-ferment-ils-les-uns-apres-les-autres-060113869

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