Relents bruns dans les arrière-pays

Depuis les années 70 les arrière-pays plus ou moins montagneux offrent, du fait de la déprise agricole et du déplacement des populations vers la plaine, les zones côtières et les métropoles, des possibilités d’installation de populations marginales et contestataires. L’auteur de cet article en fut en cette époque dans le cadre d’une tentative collectiviste en Catalogne-Nord sur fond de participation aux luttes tant politiques, que syndicales agricoles et écologistes et de solidarité avec l’Espagne antifranquiste. Mais le paysage a quasi totalement changé, et dans les mas où retentissaient les chants rouge et noir de la Révolution espagnole, aujourd’hui on y perçoit une dangereuse petite musique brune, malheureusement sur fond d’écologisme radical et de thérapies naturelles avec des rapprochements contre-nature au nom d’un confusionnisme antisystème.

Revenu en ces terres pyrénéennes dans les années 2000, et toujours impliqué tant politiquement que socialement, j’ai pu observer en première ligne l’évolution des mentalités. Tout a commencé en faisant connaissance de jeunes marginaux qui étaient restés dans un village de teepees dans la montagne après un festival international Rainbow.  Je retrouvais nombre de nos préoccupations de trente ans en arrière, une sorte de volonté de vivre le «communisme» tout de suite tant sur le plan économique que dans les rapports humains mais avec des nouveautés intéressantes autour de la permaculture par exemple. Malgré tout je ressentais des relents fascisants dans leurs discours, à leur insu, derrière un certain mépris pour le monde du travail «normal» et la vie quotidienne traditionnelle des gens de peu allant au chagrin tous les matins. En son temps nous n’avions pas non plus été exempts de ce genre de travers avec notre côté « hors du troupeau » et très donneur de leçons.

«Accélérationnistes» et néofascistes, même combat anti-système !

Certains de ces nouveaux hippies, comme on nous appelait à l’époque, se réclament d’un « communisme fondamentaliste » de type ultra-gauche, qui amènent certains  à applaudir un projet d’implantation d’Amazon dans le département, au nom d’une position que l’on dénomme aujourd’hui «accélérarionniste», sur le mode que plus l’ultralibéralisme règnera en maître, plus on s’approchera de la fin du système capitaliste ; un remake de la politique du pire dans laquelle sont tombés par le passé nombre de groupes activistes, et qui n’a jamais marché ! Au fil du temps les éléments les plus intéressants de ce village de toile sont partis et ont été remplacés par des individus type « punk à chien » (pardon pour les punks et les chiens !) sans véritable projet tant agricole que politique au sens large, ni réflexion un peu construite, la bière à la main avec leurs chiens attaquants les brebis d’éleveurs pourtant issus des vagues contestataires des années 70, qui les avaient d’ailleurs accueillis au début.

Dans les mêmes temps, sont apparus plusieurs gourous de théories plus ou moins fumeuses associées à de réelles pratiques de thérapies naturelles pas condamnables en soi. Ce fut l’époque de l’annonciation de la fin du monde autour de 2011 avec un lieu, le pic de Bugarach dans l’Aude, où seuls quelques initiés allaient survivre. Des représentants pour la France de sectes telles que les « Maîtres du temps » se mirent à s’installer dans la montagne, y construire des bunkers, y faire des réserves de vivres tout en faisant cadeau à leurs enfants adolescents de fusils à pompe en vue des affrontements à venir. Puis, avec l’essor des réseaux sociaux, d’autres se mirent à inonder You tube de conseils en thérapies à base de jus de fruits et de légumes, sensés guérir de toute maladie, celles-ci n’étant que des inventions (tout cancer, et même autisme…) avec l’organisation de stages de «régénération», très chers. Dans le confusionnisme ambiant et le désir de se rassurer à n’importe quelle soi-disant certitude, le succès fut au rendez-vous, transformant un jeune ex-junkie en quasi millionnaire capable d’acheter de grandes propriétés et de s’entourer de salariés. Aujourd’hui, c’est profil bas du fait de plusieurs centaines de signalements à la Miviludes, organisme officiel d’observation des phénomènes sectaires.

Autour de Soral, autoproclamé « national-socialiste français »

D’autant que le même personnage s’est rapproché depuis 2015 de la galaxie soralienne, tout-à-fait implantée dans la vallée du Vallespir avec la présence de l’un des porte-paroles du mouvement Egalité et réconciliation, avec sa devise « Gauche du travail, Droite des valeurs : pour une réconciliation nationale ! », installé dans une propriété sur la frontière espagnole, à quelques centaines de mètres des mas où furent arrêtés des jeunes libertaires espagnols et français au début de 1978 (un film vient d’être consacré à ce sujet : « Amis, dessous la cendre…»). Le pire étant que les nouveaux habitants ont la même allure que nous à l’époque, qu’ils accueillent, comme nous, des jeunes en difficulté, qu’ils élèvent des chevaux, font de la permaculture… tout en animant des stages « Prenons le maquis ! » avec pour logo une tête de milicien à béret des années vichystes, en se réclamant du fascisme des origines, mussolinien (y compris d’avant sa prise du pouvoir en Italie avec le concours de syndicalistes révolutionnaires et de certains anarchistes, et d’une certaine avant-garde artistique, les futuristes). Et c’est en ces lieux que se sont tenus les universités d’été 2019 et 2021 du mouvement, avec des interventions d’Alain Soral y compris sur le marxisme, sur terrain privé ce qui a rendu toute interdiction officielle impossible. Et c’est tant mieux car sinon, il ne faudrait pas s’étonner que nos propres assemblées se retrouvent interdites aussi ! C’est aussi en ces temps de Gilets jaunes dont je fus solidaire – et que je ne réduis en rien à cet aspect – que ces individus signèrent leurs affiches de « Gilets jaunes, canal historique ». ; et où on a vu fleurir les autocollants « Pour la France libre », signés CNT (Conseil national de transition, groupe putschiste, aujourd’hui démantelé).

 Ayant eu l’occasion de débattre avec certains, quelle ne fut pas ma surprise d’entendre que le véritable projet socialiste était ce fascisme des origines – et ce retour à Mussolini est aussi à la mode aujourd’hui en Italie – mais que ces idiots de nazis y avaient ajouté leur antisémitisme qui avait fait tout capoter, et qu’il fallait en revenir aux sources, y compris grâce aux lectures des livres publiés par Kontre Kulture, maison d’édition créée par Alain Soral. Le tout sur fond d’une véritable culture politique reconnaissant les proximités entre bolchévisme et fascisme, réellement antilibéraux au nom d’une économie administrée et non pas de la libre entreprise, et, de ce fait, anticapitalistes, même si Daniel Guérin nous a brillamment démontré comment le grand capital peut aussi opportunément utiliser le fascisme. D’ailleurs les publications plus ou moins soraliennes, telles que Eléments, Réagir et agir, C’off, Furia ne manquent pas de signaler qu’un Zemmour reste pour ces gens-là par trop partisan de la liberté d’entreprise quand bien même il reprend nombre de leurs slogans ; en fait ils lui reprochent de ne pas être un vrai fasciste. Et quant à Marine Le Pen, ils la considèrent comme quasi tombée à gauche !

Terre d’élections des sectes, d’identitaires radicaux et d’intégristes religieux

Régulièrement la presse locale fait état de nouvelles installations parfois à grand coup de millions d’euros dans un grand mas du fond de la vallée, telle que récemment de la communauté associative « Chamanisme de l’origine », déménagée du Tarn-et-Garonne  (et pourtant j’ai le plus grand respect pour le chamanisme des peuples traditionnels !) autour du gourou surnommé « Loup Blanc », auto-proclamé descendant du chef indien Sitting Bull, récemment accusé de « viols, agressions sexuelles et abus de faiblesse sur personnes en état de sujétion psychologique »  par des anciens adeptes repentis. Un proche va jusqu’à affirmer que, sans cette belle personne, on serait déjà dans une destruction totale de l’Humanité alors que le gourou tient un discours complotiste sur la pandémie sur le mode que le gouvernement et les lobbies pharmaceutiques ont tout inventé y compris le virus, qu’ils volent la vie de nos enfants en les tuant avec des vaccins et que la médecine ne soigne pas, et qu’elle rend malade pour mieux nous contrôler.

Et cerise sur le gâteau, le maire de la commune du fond de la vallée, Prats-de-Mollo – haut lieu historique des premières révoltes catalanes sous Louis XIV, puis de la tentative d’insurrection en 1926 de Macia, qui deviendra le 1er président de la Généralité de Catalogne – vient d’être obligé de prendre un arrêté d’interdiction de tout rassemblement à l’annonce de la venue le 6 février dernier d’un groupe de l’ultra-droite de Catalogne-Sud, Moviment identitari catala, lié à Renaixança national catalana, alors que là encore il n’est pas question pour moi de réduire le mouvement catalaniste à cette frange identitaire.

Et comment, en élargissant notre champ d’observation, ne pas signaler non plus la présence de chanoines traditionnalistes, proches des frères De Villiers (dont le général quasi putschiste), dans l’abbaye de Lagrasse, dans le département voisin de l’Aude, se considérant comme les véritables braves d’une civilisation mourante et les espoirs face à la décadence occidentale et l’islam conquérant des «Sarrasins». Abbaye où sont récemment venus « se ressourcer » nombre d’intellectuels médiatiques comme Sylvan Tesson, Frédéric Beigbeder, Pascal Brukner, Franz-Olivier Giesbert, et même Michel Onfray ! Abbaye qui voisine difficilement avec le Banquet du livre fondée par d’anciens maoistes, festival qui a eu le redoutable honneur de voir environ 8 000 livres recouverts de mazout et détruits en 2007 dans le cadre d’une sorte d’« autodafé froid », vraisemblablement perpétré par des scouts tradis hébergés par les chanoines, mais le dossier fut classé sans suite !

Voilà le panorama. Tout y est, même si je n’ai pas aussi cité que les Témoins de Jéhovah, les évangéliques et autres charismatiques, les anthroposophes du mouvement Steiner (pour mémoire mouvement qui a pu garder pignon sur rue durant toute la période nazie en Allemagne, quand bien même l’agriculture biodynamique ainsi que certaines méthodes pédagogiques sont intéressantes) sont aussi très présents localement, sur fond d’un département considéré comme historiquement de gauche, mais dont Perpignan, sa préfecture, est tombé dans l’escarcelle du Rassemblement national en la personne de Louis Alliot, seule ville de plus de 100 000 habitants gérée actuellement par l’extrême-droite. Haut les cœurs ! Mais il n’est pas sans intérêt d’apprendre que Louis Alliot, du fait de ses origines juives d’Algérie, est dénommé « le Juif » dans le journal royaliste Rivarol ; ainsi que son surnom dans le FN était « Loulou la purge » car il fut à l’origine de l’expulsion des nazillons du parti.

Les ennemis de nos ennemis ne sont pas forcément nos amis !

Mais le tableau serait inachevé si je ne vous informais pas que toutes ces idées nauséabondes exercent une influence notoire sur toute une jeunesse locale assez désoeuvrée et en butte au pouvoir jupitérien qui nous insupporte, y compris sur fond d’une certaine fascination devant tous ces anti-système en actes. Et qui plus est si les divagations autour de la pandémie, tant officielles que privées, n’avaient abouti à ce que des anarchistes, des écologistes sincères, y compris amis, ne se retrouvent à manifester les samedis, contre la « dictature sanitaire » et le « fascisme macronien » non pas ensemble, mais parfois côte à côte avec des individus dont le vert foncé a tendance à virer au brun, et qu’en fin de compte ça en arrive à ne pas les déranger. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’il ne faille pas dénoncer le quasi-état d’urgence permanent et la société de contrôle qui se renforce, mais en faisant attention aux alliances de circonstance. Mais je dois dire que, depuis peu, le milieu libertaire radical perpignanais commence à dénoncer ces proximités incongrues. Epique époque !

Serge Dokamo, du genre vieux guerrier sioux

qui n’est pas prêt de marcher en file indienne

Note importante : N’ayant aucun penchant de policier, de justicier et encore moins de délateur, j’ai choisi de ne citer aucun nom, mis à part des personnages connus et médiatisés, le but de cet article étant de décrire une situation et de participer à combattre des idées mais pas des individus, y compris en continuant à débattre avec certains des protagonistes.

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