L’Edito de PEPS : De la droitisation de la société à la fascisation rampante, un climat de guerre civile larvée

Publié parecolopepsPublié dansEditoriaux du lundi

Coup sur coup, une série d’évènements rend crédible la possibilité d’un saut dans l’inconnu, celui d’un régime néo – pétainiste.

Un climat de guerre civile rampante

60 ans jour pour jour après la tentative de coup d’Etat des généraux liés à l’OAS, ce mercredi 21 avril, une vingtaine de généraux à la retraite ont rendu public sur le site de Valeurs actuelles un appel au « retour de l’honneur » qui s’inscrit dans une tradition historique putschiste, raciste, colonialiste. Les antiracistes « racialistes/indigénistes/décoloniaux » travailleraient à diviser la France et déboulonner des statues ; les « hordes de banlieues » seraient conquises par l’islamisme ; les Black Blocs « encagoulés » déborderaient les forces de l’ordre. Lourd de menace, l’appel se conclut par l’évocation d’une guerre civile et « l’intervention [des militaires] d’active dans une mission périlleuse de protection de nos valeurs civilisationnelles et de sauvegarde de nos compatriotes sur le territoire national », annonçant même des morts par milliers. Cet appel est devenu une pétition cosignée par plus d’un millier de militaires.  Ce texte renforce le climat de guerre civile rampante qui s’instaure dans le pays à l’approche des élections présidentielles. Quelques heures après, la candidate d’extrême droite apportait son soutien à ce millier de signatures factieuses. Une semaine auparavant, le même périodique lançait « un appel à l’insurrection » signé Philippe de Villiers.

Il y a quelques jours on apprenait qu’une enquête était ouverte  suite à  un article de Médiapart sur des documents internes à la promo 2019 de l’Ecole Nationale de la Magistrature : des inscriptions racistes telles que « la France aux Français » ou « dehors les Arabes » ont été rédigées par des étudiants de la dernière promo, qui deviendront magistrats dans quelques semaines. Mardi encore, des milliers de policiers manifestaient dans toute la France suite à l’assassinat d’une de leur collègue. Les semaines précédentes, Médiapart avait fait état de l’apparition de réseaux néo-nazis dans l’armée tandis qu’une libraire libertaire, « La Plume Noire », était attaquée par des identitaires à Lyon et que le Conseil régional d’Occitanie était envahi à Montpellier par l’Action Française.

Que la gangrène s’étende dans l’appareil d’Etat, ce n’est pas nouveau. Sans remonter à la Cagoule et aux ligues d’extrême droite d‘avant- guerre pour qui « mieux vaut Hitler que le Front Populaire », dès avant 1940, les tenants d’un libéralisme autoritaire l’avaient énoncé : « Il faut s’adapter à la modernité industrielle ». Puis, avec la Guerre froide, la CIA avait créé des officines reprenant cette injonction. En 1975, le rapport de la Commission Trilatéral l’avait réaffirmé après le putsch de Pinochet au Chili : les démocraties sont devenues ingouvernables en raison de la montée de l’égalitarisme et du désir de participation politique des plus pauvres. L’emprise de l’opinion publique entrave l’action des experts. Si le néolibéralisme pousse toujours plus loin l’avantage, c’est parce qu’il a le projet autoritaire d’imposer par la contrainte des politiques dictées par les marchés, contre la volonté et les intérêts de la plus grande partie de la population.

Des facteurs convergents

Le glissement progressif du libéralisme à une forme adaptée de néo-pétainisme s’explique par plusieurs facteurs qui tendent à converger à l’approche de l’élection présidentielle :

  • Une stratégie du choc du Pouvoir au niveau social qui continue à casser le compromis social des trente glorieuses avec des contre-réformes continues : destruction du Code du Travail (CHSCT, licenciements, inspection du travail…), assurance chômage, APL, réforme des retraites. Dans les entreprises, jamais un gouvernement n’aura été aussi loin pour briser les contre-pouvoirs et affaiblir l’ensemble des syndicats, y compris la frange réformiste. Macron s’attaque au paritarisme, aux corps intermédiaires. Il n’y a plus rien à négocier, le précariat devenant la règle.  En même temps, la financiarisation de l’économie et son contrôle par les multinationales s’étend.
  • Un Nouvel Ordre Répressif. Ce « droit répressif de la sécurité nationale » au-delà de la question terroriste, c’est la protection de la sécurité nationale – entendue comme valeur supérieure, qui englobe les intérêts de l’État mais les dépasse. Il s’appuie sur un trépied :
    •  Un Etat d’exception qui dure depuis pratiquement 2015 entre les attentats terroristes et la pandémie qui vise à discipliner les corps et les esprits. Une partie de cet Etat d’exception a été intégré dans le droit commun. Les lois sur « la sécurité globale » et « le séparatisme » renforcent la criminalisation de groupes sociaux entiers.
    • Une répression doublée d’une criminalisation des mouvements sociaux : des centaines de blessés, de mutilés des Gilets Jaunes, de comparutions immédiates, utilisations des LBD, grenades de désencerclement, utilisation massive des BRAV et de toutes les polices par rapport aux CRS, nasses …
    • L’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication visant à installer le capitalisme numérique de surveillance : fichage de masses, drones, algorithmes …

Une offensive politique délibérée contre la démocratie 

Le présidentialisme de combat exacerbé s’accompagne de la négation du Parlement et des corps intermédiaires.  L’effacement du gouvernement au profit de plusieurs « Conseils de défense », l’affaiblissement des pouvoirs locaux et des partis, dans un contexte favorisé par la pandémie, ont accéléré cette monarchisation du pouvoir. La saturation médiatique, l’infantilisation des citoyens, jusqu’aux interventions télévisées du président en personne pour indiquer le nombre de fois où nous devons ouvrir nos fenêtres, le nombre de convives autorisés autour de la table, tout en donnant l’heure à laquelle nous devons rentrer le soir s’immisce dans les détails de notre vie privée.  L’attestation obligatoire et l’amende corrélée de 135 euros, originalité française, font peser la menace du contrôle de police et la sanction si le motif de sortie n’est pas jugé suffisant, et ancre dans les têtes l’idée que tout le monde peut être puni à tout moment, en fonction des décisions du monarque et de ses conseillers non élus des Conseils de défense.

Un consensus sécuritaire s’est construit au lendemain des attentats de 2015 n’a pas ou peu été combattu par les forces de gauche. Ce consensus passe par une guerre culturelle sans précédent appuyé sur des média de combat. Il aboutit à présenter l’affrontement Macron Le Pen comme le cadre politique légitime.  Cette bataille pour l’hégémonie s’exerce sur trois fronts :

  1. Une attaque sans précédent contre l’université à travers l’utilisation de « l’islamo gauchisme » et de la Cancel culture.  Le fait que l’offensive soit co-organisée à partir du gouvernement (Vidal, Blanquer, Schiappa) donne une légitimité à cette offensive contre les universitaires.
  2. Des média ouvertement d’extrême droite : La stratégie de Bolloré de construire un Fox news en France est nouvelle dans le PAF. Jusqu’ici la droite dure s’appuyait sur l’idéologie ambiante. Avec Bolloré, elle mène une guerre culturelle massive, autant à travers ses chaînes d’info en continu que dans ses programmes de divertissement. Conjuguée aux réseaux sociaux, cette propagande fait basculer le climat politique vers l’ultra droite. Alimenté par des journaux comme Valeurs Actuelles et par des mouvances complotistes du type Qanon aux Etats-Unis, la fachosphère influence des secteurs entiers de l’opinion.
  3. L’occupation du terrain idéologique par les penseurs de la droite extrême et le recours massif aux experts. Les idées auparavant uniquement proférées par le RN sont désormais banalisées. Aujourd’hui, la droite macroniste ou « républicaine », comme la gauche vallsiste ou hollandiste, utilisent le vocabulaire du RN. En un temps très court, les idées de Le Pen sont ainsi devenues incontournables, tout comme celles de Trump aux États-Unis, d’Orbán en Hongrie, de Bolsonaro au Brésil ou de Salvini en Italie. 

La création d’un bouc émissaire pour la politique de la peur

L’assassinat djihado-fasciste de Samuel Paty a mis une nouvelle fois la question de l’Islam au centre du débat public. L’exécutif, l’extrême droite et le « Printemps Républicain » s’acharnent à construire une représentation du monde où tout musulman devient un ennemi potentiel. Il s’agit de créer de toute pièce un bouc émissaire en se fondant sur la politique de la peur. La peur que l’Occident soit « submergé » par les réfugiés, et que « la migration illégale » accroisse cet « afflux ». La Droite, En Marche comme la Gauche vallsiste reprennent en chœur l’amalgame entre immigration et terrorisme.

Ce processus s’appelle « fascisation ». Le mot provient des années 1920, juste avant la prise du pouvoir par Hitler en 1933. À l’époque, un processus de droitisation, de mesures autoritaires, de lois répressives et d’idées racistes ont progressivement très bien préparé le terrain à la prise du pouvoir par les nazis. D’une part, un processus supprime de plus en plus d’acquis démocratiques et sociaux. De l’autre, un processus par lequel l’opinion publique est pas à pas gagnée aux idées de la droite extrême.

Dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme, le premier article énonce : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. ». C’est cette égalité que le libéralisme autoritaire veut anéantir pour à nouveau diviser les êtres humains en catégories différentes avec des droits différents. Il le fait en s’attaquant aux droits humains universels, en promotionnant le nationalisme et le racisme, en mettant hors-la loi les mouvements sociaux.

Face à la gangrène de l’Etat, un Front de défense des libertés

Face à la gangrène de l’Etat et à l’offensive néo-pétainiste, nous devons, avant qu’il ne soit trop tard, construire une riposte qui s’appuie sur un Front de défense des libertés organisé  à la base par des comités de vigilance contre la répression et pour la défense des droits sociaux, sur l’autodéfense des manifestations face aux violences policières, sur la défense intransigeante de tous les mouvements sociaux criminalisés (Gilets jaunes, jeunes des quartiers populaires, sans papiers, zadistes… ).

Mais nous devons aussi construire un nouveau récit positif qui s’appuie sur un monde nouveau désirable, fondé sur les Communs, la gratuité, la coopération et l’entraide. Face à l’impuissance de l’Etat néo libéral, l’issue n’est pas dans un Etat policier autoritaire, qui surveille et encaserne les citoyens. Les appels à défendre la République menacée ne veulent rien dire. Quelle République ? celle qui massacre les insurgés de 1848 ou de 1871 ?  Celle qui se couche devant Pétain ? Celle de la 5éme qui utilise la Guerre d’Algérie pour instaurer un pouvoir monarchique ? Nous n’avons rien de commun avec cette République-là. La nôtre est celle de l’auto gouvernement, de la Commune des Communes, de l’autogestion dans les quartiers et les villages, de Louise Michel et de Manouchian, des Communards et des Gilets Jaunes, du Comité Adama et de Notre- Dame des Landes.  

Face aux résidus du fascisme, l’heure du Pouvoir par en bas a sonné. Soyons nombreux dans la rue la 1er mai, premier pas vers la création du Front de défense des libertés.

PEPS, le 28 avril 2021

https://pepspouruneecologiepopulaireetsociale.wordpress.com/2021/04/29/ledito-de-peps-de-la-droitisation-de-la-societe-a-la-fascisation-rampante-un-climat-de-guerre-civile-larvee/

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