Avec la 5G, demain, tous surveillés

Durée de lecture : 7 minutes 24 juin 2019 / Laury-Anne Cholez (Reporterre)

Avec la 5G, demain, tous surveillés

Sous ses atours attrayants, la 5G pose des problèmes de sécurité du réseau, de confidentialité des conversations, de neutralité d’internet et de surveillance des populations. Sans débat démocratique autour de son déploiement, ces questions demeurent sans réponse.

Cet article est le quatrième volet d’une enquête que Reporterre consacre à la technologie du réseau sans fil de cinquième génération, ou 5G. Le premier volet : « Plongée dans l’univers de la 5G : merveille ou cauchemar ? ». Le deuxième : « La 5G, des fréquences, des antennes et des craintes ». Le troisième :« La 5G, pactole ou fantasme économique ? »


Des appels en Australie, en Afrique, en Asie. Une goutte de sueur vient de traverser votre front à la lecture de votre dernière facture téléphonique, dix fois plus chère que d’ordinaire. Qui a bien pu pirater votre ligne ? C’est le genre de mésaventure qui pourrait arriver avec le nouveau réseau 5G. Des chercheurs ont en effet découvert des failles dans son protocole : un problème d’identification au réseau permettant plusieurs connexions en même temps, et donc la facturation d’appels que vous n’avez jamais passés. Autre souci concernant la clé de session, qui chiffre vos communications : sa confirmation n’étant pas obligatoire, cela peut entraîner des erreurs et permettre à quelqu’un d’écouter vos conversations. « C’est un risque pour la sécurité de la ligne et le respect de la vie privée », explique Jannik Dreier, maître de conférences au Laboratoire lorrain de recherche en informatique et ses applications (Loria), qui a mené ces recherches en partenariat avec l’École polytechnique fédérale de Zurich et l’université de Dundee, en Écosse.

Or, la protection des données personnelles est considérée par 40 % de la population comme le principal frein à l’utilisation d’internet, selon le dernier baromètre du numérique.

« On laisse souvent de côté cet aspect sécurité, car il coûte cher » 

Ces résultats inquiétants ont été présentés aux industriels ainsi qu’à l’organisme 3GPP, qui définit la norme mondiale de la 5G. Sans recevoir le moindre écho. « J’ai l’impression que les industriels estiment ce risque moins coûteux que le temps qu’il faudrait passer à analyser et vérifier leurs protocoles. On laisse souvent de côté cet aspect sécurité, car il coûte cher. Nos résultats pourraient pourtant leur permettre d’éviter les problèmes par la suite », dit le chercheur Jannik Dreier.

La question de la sécurité du réseau est pourtant prise très au sérieux par le gouvernement, qui a promulgué une loi renforçant le contrôle des équipements de réseau mobile par l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information (Anssi). Un texte surnommé loi « anti-Huawei ».

Au salon Vivatech, en mai 2019, à Paris.

Au-delà de l’aspect sécuritaire, la 5G pose également la question de la neutralité du net. Aujourd’hui, il est interdit de favoriser un site selon son contenu, sa source, son message ou son destinataire. En clair, votre fournisseur d’accès à internet (FAI) doit vous offrir le même débit, que vous regardiez une vidéo de chatons ou de violences policières, qu’elle soit sur YouTube ou sur Dailymotion. Cette neutralité du net est remise en question par les grands opérateurs sous prétexte d’offrir une meilleure qualité de service aux utilisateurs. « Traiter tout le monde de façon homogène n’a pas de sens. Il va falloir compartimenter et découper le réseau en tranches avec des caractéristiques différentes. Une couche de service pour le grand public, couche qui pourra supporter une latence légèrement plus longue que les objets connectés, par exemple. Une autre couche de service où l’ultra haut débit sera garanti pour les opérations sensibles », dit Michel Combot, le directeur général de la Fédération française des télécoms.

« Ils aimeraient proposer une connexion internet de base et faire payer plus cher l’accès à certains services » 

Pour la Quadrature du Net, une association de défense des droits et libertés des citoyens sur internet, il ne s’agit que de considérations commerciales. « Les opérateurs estiment que certains sites, comme Netflix ou YouTube, se font de l’argent sur leur dos en utilisant leurs infrastructures. Ils aimeraient proposer une connexion internet de base et faire payer plus cher l’accès à certains services. Dans ce cas, qui va décider des choses à prioriser ? Ce n’est pas aux fournisseurs d’accès à internet de dire qui peut s’exprimer en ligne, d’estimer le volume de données raisonnables. Vous vous rendez compte du pouvoir que cela leur donnerait ? Il y a ici un fort enjeu de liberté », explique Alexis O Cobhthaigh, avocat et membre de la Quadrature du Net. L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) rejette également l’argument de la qualité de service : « On ne comprend pas pourquoi les opérateurs estiment que la neutralité du net est un frein au déploiement de la 5G. Lorsqu’on leur demande de nous fournir des exemples précis pour étudier le problème, ils ne nous en donnent pas », explique Cécile Dubarry, la directrice générale de l’Arcep

À la Station F, à Paris.

Parmi les avantages supposés de la 5G mis en avant par ses promoteurs, la vidéosurveillance « intelligente » est souvent évoquée. Elle permettrait de réduire la délinquance urbaine et de mieux protéger nos domiciles. Des effets nuancés par Élodie Lemaire, sociologue et maîtresse de conférences à l’université de Picardie Jules-Verne, dans son livre L’œil sécuritaire : Mythes et réalités de la vidéosurveillance, publié en mars dernier. « Les études se contredisent sur l’efficacité du système ainsi que sur la baisse du sentiment de sécurité », dit la chercheuse à Reporterre. Pour elle, ce sont avant tout les modalités de la surveillance qui changent. Aujourd’hui, on identifie ou on saisit le flagrant délit. Dans le futur, on tentera de dépister et d’anticiper une anomalie.

« Il est impératif de poser la question du consentement de la population à ce nouvel ordre urbain » 

Se pose alors une question éthique : qui va déterminer ces comportements dits « anormaux » ? À partir de combien de minutes assis sur un banc à regarder flâner les passants deviendra-t-on suspect ? Les programmateurs de ces futurs algorithmes disposeront d’un immense pouvoir, qui passera pour de la neutralité : on arguera que le tri est opéré par une machine. La justice risque également d’en faire les frais. « Si les faits ne sont plus établis, car on a détecté l’anomalie avant qu’elle n’advienne, à quoi serviront les magistrats, qui jugent justement sur le fondement de faits établis », s’interroge Élodie Lemaire. Face aux menaces que la vidéosurveillance dite « intelligente » fait peser sur les libertés publiques, la chercheuse appelle à une discussion démocratique. « Il est impératif de poser la question du consentement de la population à ce nouvel ordre urbain et de faire en sorte qu’il soit éclairé par les bonnes questions. Aujourd’hui, les termes du débat public opacifient la controverse plus qu’ils ne l’éclairent en fantasmant les prouesses de cette technologie. Il serait salutaire d’avoir un regard plus raisonné sur ces modalités de fonctionnement qui permette d’anticiper les dérives possibles. »

Dominique Boullier, sociologue et spécialiste des usages du numérique et des technologies cognitives, aimerait lui aussi l’instauration d’une arène d’échanges en présence de toutes les parties prenantes de la 5G : « Il faut dépasser l’opposition manichéenne progrès-antiprogrès. Les objets connectés vont permettre de faire plein de choses. Mais il faut réfléchir à leurs usages. Est-ce que nous voulons des frigos connectés ? Si oui, jusqu’où ? Il y a de bonnes idées, mais il faut réguler pour éviter les dérives. Faire que ces objets œuvrent pour le bien commun. Et, surtout, prendre le temps d’un vrai débat sur son déploiement. » Ces discussions devraient également prendre en compte les enjeux écologiques de la 5G. Un aspect dont nous vous parlerons demain dans le dernier volet de notre enquête.

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