Mais si, Jean Luc, la Charte d’Amiens, c’est vachement bien !

A plusieurs reprises, ces dernières semaines, Monsieur Mélenchon, chef
incontesté de la France Insoumise, se permettait une attaque frontale contre la Charte d’Amiens. Cette offensive fait suite à d’autres déclarations contre
l’indépendance syndicale.

Rappelons que cette Charte, adoptée à la quasi unanimité au congrès de la CGT de 1906, a permis de rassembler au sein d’une même Confédération toutes les tendances syndicales, grâce au respect de l’indépendance de classe. Ce texte fixe aussi à la CGT la responsabilité de coordonner les luttes ouvrières et de les orienter vers la grève générale révolutionnaire. La Charte donne également à la Confédération
l’objectif de gérer la société après la destruction du capitalisme. Le Socialisme se caractérisant par la gestion sociale de la production des biens et des services par les travailleurs. Ce schéma stratégique est globale et cohérent !
A chaque fois que cette Charte a été remise en cause, le mouvement ouvrier a connu une division profonde, suivie d’une crise.
Monsieur Mélenchon estime pourtant que la Charte d’Amiens est dépassée. Ce qui justifierait que son parti joue un rôle dirigeant dans la mobilisation sociale : “nous avons besoin d’une convergence populaire. En tous cas je le dis clairement : les organisations politiques ont toute leur place dans la mobilisation et la conduite du mouvement de résistance sociale.”

Social ou affinitaire ?

La France Insoumise n’est pas la seule organisation philosophique à estimer qu’elle pourrait intervenir comme organisation sociale. Depuis la prise du pouvoir par les bolchéviques en 1917 en Russie, ce mythe a contaminé de nombreux courants politiques.
Pour comprendre que cette croyance n’a aucun sens, il faut tout d’abord se rappeler que le mot “social” a une signification bien précise. Cet adjectif désigne un élément qui a pour but d’englober toute la société. Par exemple, la Sécurité Sociale avait vocation en 1945 à associer tous les travailleurs et travailleuses. Il en est de même d’une confédération syndicale comme la CGT.
Mais un parti, même quand il revendique 500 000 adhérents sur internet, reste et restera une organisation réduite à un courant philosophique. Même les partis uniques officiant sous les dictatures n’ont jamais revendiqué vouloir regrouper toute la population.

Abstraction philosophique ou savoir-faire ouvrier ?

Alors comment en est-on arrivé à une telle aberration ? On l’a dit, ce mythe trouve son fondement dans la Révolution russe où un petit parti “d’avant garde” a pu imposer sa direction. Car, sous la dictature des tsars, il n’existait pas d’organisation syndicale réellement implantée. Le parti a donc
pu s’imposer sur le terrain social en raison de cette carence. Depuis cette époque, les courants léninistes et beaucoup de leurs rivaux ont diffusé cette conception à travers le monde. Il est donc de plus en plus normal de voir des militants appeler à la grève en utilisant des tracts de leur organisation philosophique.
Ces mêmes militants oublient parfois d’appeler à la grève dans leur syndicat. Le résultat est évidemment nul car aucun collectif de travailleurs ne partira en grève à l’appel d’une organisation philosophique !
Avec la même absence d’analyse matérialiste, beaucoup de militants pensent qu’une
transformation sociale peut être menée avec une organisation qui n’est pas sociale. C’est ce qui explique l’incapacité actuelle des travailleurs à lutter pour le Socialisme. La lutte anti-capitaliste est ainsi devenue
la chassée gardée de militants isolés dans leur organisation affinitaire, ne disposant que peu de forces.
Dans son article, Monsieur Mélenchon se moque d’une charte vielle de 111 ans. On peut, en effet, estimer que certaines expériences sont périmées et dépassées. Oui, mais voilà, il y a 111 ans les militants avaient une culture ouvrière et donc une connaissance des outils et des savoir-faire. Chaque
outil a une utilité précise et une méthode d’utilisation. Cette culture ouvrière a été altérée par l’arrivée en force du discours philosophique et politicien. Un démagogue peut désormais assimiler deux outils
totalement différents (le parti et la confédération syndicale) sans que le beau parleur n’apparaisse comme un charlot.

Se réapproprier les outils et les stratégies adaptés

Monsieur Mélenchon avance au moins un constat juste : les organisations syndicales ont adopté une stratégie inefficace. Mais il oublie de préciser que cette stratégie c’est la sienne ! Cette responsabilité de l’échec est d’ailleurs très large et ne se limite pas aux “directions” syndicales. Car c’est bien la responsabilité des syndicats locaux
d’appeler à la grève dans leur profession. Or peu de syndicats l’ont réellement fait. Depuis des décennies, les mobilisations syndicales perdent leur nature ouvrière pour glisser de plus en plus vers des manifestations protestataires, calquées sur celles des partis et organisations affinitaires. On manifeste dans la rue pour faire pression et
affirmer son mécontentement. On bascule donc dans le schéma institutionnel en oubliant de construire le rapport de force dans les entreprises et dans les professions.
Or, une grève, ce n’est pas un défilé Bastille- Nation devant les caméras de télévision. C’est le blocage de l’appareil de production pour s’attaquer au fonctionnement bourgeois des entreprises et de l’État capitaliste. Les signataires de la Charte d’Amiens avaient conscience que l’Etat était capitaliste. Ils partageaient avec Karl Marx sa critique du “crétinisme parlementaire”. Ils n’attendaient donc pas un vote de 50,01% aux élections législatives, en croyant pouvoir transformer miraculeusement la nature de classe de cet Etat capitaliste. Car, une nouvelle fois, ils savaient qu’un outil a une fonction précise. Tout comme un marteau ne peut se
transformer en tournevis , un Etat capitaliste ne peut se transformer en outil social. Pourtant, les organisations affinitaires qui veulent prendre la direction de la lutte sociale le pensent. Elles vivent dans leur monde des idées et des institutions et non pas dans celui des réalités matérielles.
La Charte d’Amiens ne s’oppose pas aux organisations philosophiques. Elle leur demande juste de rester fidèles à leur fonction d’élaboration politique, de réflexion sur un projet de société. Ce en quoi elles peuvent lutter aux côtés du mouvement syndical, dans le respect de l’indépendance de chacun.
Les camarades de ces organisations doivent comprendre que leur stratégie inadaptée aura pour résultat d’accentuer un peu plus la crise que traverse le mouvement syndical…. mais aussi leur propre crise en voulant atteindre un objectif impossible de par leur nature.
Nous les appelons, au contraire, à prendre leurs responsabilités en militant sur le terrain social, en faisant le tri dans leur caisse à outils. Il ne sert à rien d’appeler à la grève en dehors du syndicat !

Comités Syndicalistes Révolutionnaires (CSR) – syndicalistes@gmail.com – syndicaliste.fr
tract_reponse_a_melenchon.pdf

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