«La stratégie nucléaire française basée sur l’EPR n’a pas d’avenir»

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L’EPR de Flamanville dont la mise en service est prévue pour 2018.
© Laurent GRANDGUILLOT/REA

Flamanville toujours en rade, Hinkley Point remis en cause… Les projets d’EPR, réacteur nucléaire de 3ème génération la perle de notre industrie de l’atome, cumulent les déconvenues. L’analyste Mycle Schneider, 57 ans, spécialiste de la politique nucléaire, décrypte ce qui ressemble de plus en plus à une impasse industrielle. Notre interlocuteur est l’auteur principal du World Nuclear Industry Status Report publication annuelle indépendante – et critique – qui fait référence sur les tendances de l’industrie nucléaire dans le monde.

Capital.fr : Au moment où le projet d’Hinkley Point fait polémique, estimez-vous que l’EPR français a un avenir industriel et à l’export ?

MS : Il n’y a pas d’avenir industriel pour l’EPR parce qu’il n’y pas de marché pour ce type de machine. Trop grande, trop chère et, surtout, trop lente à mettre en route. Le secteur énergétique est en pleine révolution. C’est le chamboulement de la logique de l’intégration verticale avec les grandes unités de production, le transport du courant sur des centaines de kilomètres et la distribution au consommateur final. La logique de l’avenir est basée sur l’intégration horizontale, comme l’Internet, avec des millions de producteurs décentralisés (en Australie, par exemple, il y a déjà deux millions de générateurs d’électricité solaire), des flux d’électricité multidirectionnels, et des nœuds de connexion intermédiaires. Dans ce nouveau décor, l’EPR fait, à mes yeux, figure de dinosaure. Surtout qu’il est hors de prix : les estimations de coût ont été multipliées par quatre depuis la décision de 2005 de le construire à Flamanville. La mise en service de l’EPR Olkiluoto en Finlande prévue initialement pour 2009 est aujourd’hui annoncée pour 2018. Pendant ce temps, les coûts de l’éolien ont, eux, baissé de plus de 60% et ceux du solaire de plus de 80%. L’EPR a été pensé comme réponse technique à l’accident de Tchernobyl. Trente ans plus tard, il n’y en a toujours aucun qui fonctionne dans le monde.

Capital.fr : Les tenants de notre filière nucléaire pensent le contraire.

MS : C’est vrai, et pourtant Areva (AREVA-4,65 € -0,79 %) va particulièrement mal. Avec une perte cumulée de 10 milliards d’euros en cinq ans, l’entreprise est techniquement en faillite. Ce qui est très surprenant, c’est que l’État français qui détient 87% d’Areva et 85% d’EDF, ait décidé de baser la future stratégie nucléaire exactement sur les mêmes éléments que ceux qui ont conduit à ce désastre économique et industriel. A savoir un hypothétique marché à l’exportation de grands réacteur. Ce n’est pas une stratégie du futur car les coûts du nucléaire explosent et que le marché de gros de l’électricité est en pleine dépression. EDF (EDF-9,10 € 0,33 %) a déjà perdu la moitié de sa valeur en Bourse en un an, a été viré du CAC40 et dégradé par les agences de notation, qui ont prévenu d’un nouvel abaissement de sa note si l’entreprise devait poursuivre son aventure des EPR de Hinkley Point.

Capital.fr : Les autres puissances du nucléaire civil développent des concurrents à l’EPR, s’en sortent-elles mieux ?

MS : Face à l’absence d’un véritable marché à l’exportation, les concurrents de l’équipe nationale Areva-EDF ne vont pas beaucoup mieux. Le japonais Toshiba, qui détient 87% de Westinghouse, essaie de vendre des parts de ce constructeur historique, face à l’érosion de son chiffre d’affaires. Le designer de Fukushima, Daiichi General Electric, s’est rapproché du japonais Hitachi et chasse les mêmes chimères que les autres en Turquie où rien n’est encore conclu. Le russe Rosatom prétend détenir un carnet de commandes de 100 milliards de dollars, une affirmation que même les lobbyistes de l’industrie jugent fantaisiste. Entretemps, la filiale de Rosatom Atomenergoprom, l’Areva russe a été dégradée au niveau des junk bonds. Le constructeur Énergie atomique du Canada (EACL) n’a plus vendu de réacteur depuis de nombreuses années. Restent les Chinois, les seuls à avoir un trésor en cash significatif… mais pas illimité. CGN, l’entreprise chinoise partenaire d’EDF dans Hinkley Point a perdu 60% de sa valeur en bourse depuis un an.

Capital.fr : Les investissements sur les énergies renouvelables dépassent largement celles consacrées au nucléaire, s’agit-il d’une tendance lourde ?

MS : Le seul pays qui investit encore massivement dans le nucléaire, la Chine, a aussi doublé son investissement dans le renouvelable en deux ans pour dépasser le chiffre incroyable de 100 milliards de dollars en 2015, soit autant que les trois pays qui le suivent dans le top 10 mondial—États Unis, Japon et Royaume Uni— réunis. La France, elle, ne figure pas dans le top 10, où le Mexique et le Chili viennent, eux, de faire une apparition remarquée juste derrière l’Afrique du Sud. L’avantage clé de ces technologies réside dans le cumul de trois caractéristiques : investissement en capital modeste par unité, certitude sur le coût réel de la mise en œuvre et délais de réalisation très courts. Pas surprenant donc que la production d’électricité solaire dans le monde ait augmenté de 33% en 2015 et l’éolien de 17% alors que le nucléaire n’a progressé que de 1,3%— exclusivement grâce aux investissements importants en Chine. L’éolien seul produit plus de d’énergie que le nucléaire en Chine, tout comme en Inde ! Un quart des pays nucléaires tire désormais plus d’électricité des renouvelables que du nucléaire. Et ça va vite. Les projets solaires se réalisent en quelques mois, l’éolien ou la biomasse le plus souvent en moins d’un an. On parle de Hinkley Point depuis dix ans avec une perspective très théorique de mise en service dans dix ans !

Recueilli par Eric Wattez

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