Le Parlement élargit encore les dispositions répressives et les pouvoirs de la police

8 février 2017 / Nicolas de La Casinière (Reporterre)

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Le Parlement élargit encore les dispositions répressives et les pouvoirs de la police

L’Assemblée nationale examine jusqu’au 9 février une nouvelle loi de sécurité publique. Elle étend la protection des policiers, en particulier dans leur utilisation de la légitime défense. Les députés la soutiennent, malgré les extrêmes violences policières survenues à Aulnay-sous-Bois.

L’empilement de lois sécuritaires connaît une nouvelle couche. Surveiller et punir, énième loi. Le Parlement examine du 7 au 9 février, en procédure accélérée, le « projet de loi relatif à la sécurité publique no 263 » déjà amendé par le Sénat. Le texte prévoit de protéger davantage les policiers en situation dite de légitime défense, mais il élargit aussi la notion et comporte d’autres dispositions inquiétantes. La loi prévoit ainsi de doubler les peines pour outrage aux forces de l’ordre, rébellion et refus d’obtempérer, qui passeraient de six mois à un an d’emprisonnement et de 7.500 à 15.000 euros d’amende. La loi autoriserait l’anonymat des enquêteurs dans les procédures les plus graves. La nouvelle loi prévoit aussi un cadrage de la « filière privée » de vigiles armés.

Durant les débats de mardi, le ministre de l’Intérieur, Bruno Le Roux, a rendu un hommage appuyé aux forces de l’ordre tout comme Yves Goasdoué, rapporteur de la Commission des lois, en demandant « soutien, respect et considération ». La figure rhétorique obligée est aussi conjoncturelle, venant après des manifestations répétées de policiers pendant plus de dix jours consécutifs, parfois de nuit.

Le silence poli a accueilli l’avis au Parlement préalable du Défenseur des droits (et ancien garde des Sceaux de 1995 à 1997) Jacques Toubon, pour qui cette « loi n’est pas le moyen adapté. Elle ne peut être utilisée uniquement comme un outil de management et les outils affichés ne peuvent justifier la modification d’une notion aussi essentielle que la légitime défense ». Il considère que le texte « complexifie le régime juridique de l’usage des armes en donnant le sentiment d’une plus grande liberté pour les forces de l’ordre, au risque d’augmenter leur utilisation, alors que les cas prévus sont déjà couverts » par les textes actuels.

« Donner satisfaction à certaines revendications policières exprimées lors du mouvement de l’automne »

Le texte de loi prévoit donc la possibilité pour des policiers d’ouvrir le feu après deux sommations lorsqu’ils seraient agressés ou menacés par une personne armée ou auraient l’impression qu’un individu puisse passer à l’acte. Idem pour tirer à balles réelles afin de défendre une zone ou d’arrêter un véhicule. Ils pourront aussi dégainer et tirer pour « arrêter des personnes qui cherchent à échapper à leur garde et sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à celles d’autrui ». La notion récemment inventée par les syndicats de police de « présomption de légitime défense » a fait son chemin.
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Le député Pouria Amirshahi a déposé une motion de rejet, qui a été… rejetée.

Dans ses critiques au projet de loi, le Syndicat de la magistrature évoque « la prétendue nécessité que les forces de police et de gendarmerie soient “juridiquement plus assurées” dans le maniement de leurs armes et mieux “protégées” à l’occasion des procédures pénales ». Il souligne également : « Présenté en toute fin de législature dans le cadre d’une procédure d’urgence qui interdit un débat apaisé, ce projet a pour unique vocation de donner satisfaction à certaines revendications policières exprimées lors du mouvement de l’automne. »

Ces nouvelles mesures apparaissent comme une réponse rapide aux revendications des policiers dans la rue à l’automne dernier, lors de manifestations sauvages, hors cadre syndical, après l’attaque au cocktail Molotov de quatre d’entre eux le 8 octobre à Viry-Châtillon (Essonne).

Mais la conjonction d’événements d’actualité et d’initiatives législatives voudrait occulter le dernier épisode connu, peu glorieux pour les forces de l’ordre. À Aulnay-sous-Bois, l’arrestation le 2 février dernier d’un homme de 22 ans, Théo, passé à tabac et violé avec une matraque lors d’un contrôle dans la rue a quand même conduit à mettre en examen les quatre policiers impliqués pour « violences volontaires avec arme par personnes dépositaires de l’autorité publique », dont l’un « pour viol, malgré la tentative du parquet de sous-qualifier les faits. Néanmoins, ils ont tous été laissés en liberté » souligne la Ligue des droits de l’homme.

« La tendance à l’affaiblissement judiciaire, le renforcement des pouvoirs policiers et le recul des libertés individuelles »

Ce texte est présenté aux députés dans une période où l’équilibre des pouvoirs entre police et contrôle judiciaire a déjà été sérieusement mis à mal. L’état d’urgence permet en effet des perquisitions, arrestations, assignations à résidence sans intervention d’un magistrat. Des mesures dites « administratives », euphémisme pour signifier qu’elles sont sous l’autorité du ministre de l’Intérieur et donc du gouvernement, sans recours ni procédure contradictoire permettant aux personnes mises en cause de faire valoir leurs droits devant un magistrat.

Pour le député ex-PS Pouria Amirshahi, qui a déposé une motion de rejet, « on ne peut défaire le texte de son contexte, explique-t-il à Reporterre. Il est proposé en plein état d’urgence, qui est en théorie une procédure d’exception et qui donne déjà des prérogatives exorbitantes à la police. C’est là un signe fort et inquiétant. On ne se contente pas de l’état d’urgence, on renforce les droits d’action des policiers, qui sont pourtant déjà bien pourvus. La dernière loi pénale avait déjà élargi les pouvoirs policiers, retenue de quatre heures sans avocat, perquisitions de nuit notamment. Aujourd’hui, devant l’échec de la constitutionnalisation de l’état d’urgence, l’attirail mis en place par Sarkozy voit son renforcement effectué avant la fin du mandat de Hollande, avec la tendance à l’affaiblissement judiciaire, le renforcement des pouvoirs policiers et le recul des libertés individuelles ».

À l’Assemblée, Colette Capdevielle, députée socialiste, s’est dite « choquée » par le terme « tir à vue » utilisé par son collègue Pouria Amirshahi. La motion de rejet qu’a déposée le député socialiste a d’ailleurs subi un tir de barrage des groupes UDI, PS et LR. La motion de rejet a donc été facilement rejetée.

Pouria Amirshahi déplore « l’empressement avec lequel ont été épousées les thèses néoconservatrices. Certains députés regardent même l’évolution avec une certaine désinvolture, considérant comme secondaires les sécurités publiques vis-à-vis de la protection des policiers. Après la mort de Rémi Fraisse à Sivens et plus récemment l’affaire Théo à Aulnay-sous-Bois, il est plus que nécessaire de ne pas laisser s’installer le silence assourdissant. C’est comme allumer des bougies dans un tunnel ».

« Il faut revoir le code de déontologie mis en place par Valls, et revenir à une formation digne de ce nom »

Pour Pouria Amirshahi, « on peut comprendre que les policiers aient besoin de se sentir en sécurité s’ils ont parfois peur, mais on ne peut pas admettre qu’on légalise par avance les fautes professionnelles, les pertes de contrôle. Aujourd’hui, le refus du tutoiement, le discernement et la maîtrise des policiers restent très relatifs. Il faut revoir le code de déontologie mis en place par Valls, et revenir à une formation digne de ce nom. C’est d’autant plus inquiétant quand on sait que la moitié des policiers sont supposés pencher et voter pour le Front national… »

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Extrait de la vidéo des violences perpétrées à l’encontre de Théo, à Aulnay-sous-Bois.

En matière de légitime défense, le Syndicat de la magistrature a publié un réquisitoire très documenté de vingt pages. « Si le projet limite cette faculté à la stricte nécessité et aux cas où la personne à protéger est exposée à un risque exceptionnel d’atteinte à sa vie, il est à craindre que par touches successives, les cas d’armement soient plus ouverts et que des agents privés de surveillance finissent par être armés en masse sans disposer de la formation et de la déontologie correspondantes », note le SM. Sur la légitime défense, le nouveau texte créerait un « cas d’exonération pénale implicite » pour les policiers. On lira également dans le texte du Syndicat de la magistrature que le cadrage juridique existe déjà dans le Code pénal et qu’il est bien balisé par les jurisprudences françaises ou européennes, qui « ont considérablement unifié le droit, notamment en exigeant, quel que soit le cas de recours aux armes, que soient réunis les critères d’absolue nécessité et de proportionnalité ».

Concernant la « défense d’un terrain occupé par les forces de l’ordre, les postes ou les personnes qui leur sont confiés » et leur permettant de tirer à balle réelle après deux sommations, elle pourrait concerner une « attaque de commissariat » mais sans préciser de quel type. Va-t-on vers une autorisation de tuer des manifestants en colère hurlant contre la porte d’un commissariat ? Et ce, sans qu’il soit besoin de justifier d’une menace à la vie des policiers ou à leur intégrité physique (risque de blessure). Le principe de proportionnalité des moyens de riposte disparaîtrait, coiffé par un droit à dégainer après deux sommations. Ce cas de défense d’une zone « créé par la loi est, selon l’interprétation que l’on en a, soit inacceptable, soit inutile, et n’établit pas clairement ce que la loi autorise précisément ».

« Aucun texte ne remplacera une formation adéquate et effective »

La légitime défense s’étend dans le texte aux personnes « prenant la fuite ou forçant un barrage », élargi par le Sénat aux hypothèses en retenant la condition de « raisons réelles et objectives d’estimer probable la perpétration… ». En gros, la base d’une seule probabilité.

« Aucun texte, fût-il rédigé avec la plus grande des précisions, ne remplacera une formation adéquate et effective. La prétention à apporter plus d’“assurance juridique” est au demeurant largement illusoire. » Estimer le niveau de proportionnalité et d’absolue nécessité est un acte complexe, instantané et à réaliser en toute urgence, qu’aucun texte ne cadrera mieux qu’une formation scrupuleuse, note le Syndicat de la magistrature.

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