Mieux comprendre le capitalisme pour mieux le détruire

27 octobre 2016 par Commission Journal (mensuel)

Producteur précaire, emprunteur, consommateur, contribuable, usager de services publics, ressources naturelles, à tous ces titres le capitalisme protéiforme du XXIe siècle nous exploite !

Les crises à répétition qu’a traversées l’économie mondiale ces dernières années le montrent : le capitalisme est arrivé à un stade de développement bien particulier. Bien sûr, le capitalisme actuel a hérité de ses stades antérieurs : les traces et les tares sont nombreuses. Les marchands et industrieux, pour accroître leur capital, s’appuient sur deux ressources : la main-d’œuvre bon marché et les produits issus des colonies. Le colonialisme – impérialisme des États et de leurs pilotes capitalistes –, est, depuis trois siècles, et continue d’être aujourd’hui, une grande source d’augmentation de profits pour les capitalistes, grands et petits.

La finalité première de tout capitaliste est d’augmenter les capitaux accumulés grâce au surtravail non rémunéré. Mais plus encore grâce au développement des échanges, échanges toujours inégaux dans ce système (voir tout le travail de Samir Amin sur « l’échange inégal » en Afrique et dans le monde).

Avec les premières crises de développement du capitalisme, on s’aperçoit peu à peu que ce système économique se développe par crises successives. Les crises constituent le seul moyen de régulation du système capitaliste.

Le premier objectif des crises concerne la lutte sans merci que se livrent les capitalistes entre eux. Chacun tente de s’approprier les parts de marché des autres. Dans cette loi de la jungle, tous les coups sont permis et le plus souvent dans la précipitation. Le système n’a qu’une vision à court terme. Ses capacités d’anticipation ne sont pas meilleures aujourd’hui qu’hier. Ce qui laisse penser que le système, dominé qu’il est par l’appât de profits, est peu apte à son propre apprentissage.
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Le second objectif des crises est de réduire la part du salariat pour augmenter la part du capital. Comprimer les charges de salaires, rattraper par la baisse des pouvoirs d’achat les sommes perdues (augmentations des salaires concédées, provisoirement, à cause des grèves et luttes ouvrières). Obtenir des modifications de législation pour rendre les ouvriers plus précaires et dépendants, afin de leur couper les ailes et de réduire leur pouvoir de nuisance. Depuis 1989 les capitalistes se lâchent et exigent des gouvernants des politiques d’austérité qui leur permettent d’obtenir les plus grands profits possibles pour eux et les plus grandes précarités pour tous les autres.

Au menu : la précarité pour toutes et tous !

L’exploitation des salarié-e-s ­reste une des bases de l’enrichissement des capitalistes de par le monde. Mais au cours du XXe siècle les classes des ouvriers ont montré des capacités de lutte insoupçonnées. Aussi le capitalisme agit-il depuis pour accroître les groupes de précaires et diminuer, notamment par une multiplication des statuts des travailleurs, la force des ouvriers.

Les capitalistes ont compris qu’il fallait, pour protéger leurs surprofits, qu’ils augmentent les groupes d’employées (écrit au féminin car 85% des employés sont des femmes), de « chômistes », de précaires, de sans-diplômes, de sans-papiers, de pauvres, pour rapprocher ces groupes sociaux d’un esclavage « moderne » au service des riches. Tout en maintenant la capacité minimum de ces populations à consommer pour que les échanges marchands continuent à se développer. Quand va-t-on remplacer la valeur d’échange marchand par la valeur d’utilité sociale ? En utilité sociale, personne n’est précaire !

La finance internationale prétend régenter le monde

Le nouveau capitalisme est caractérisé par de très grandes entreprises et de très grandes multinationales qui ne veulent plus se « salir les mains » avec l’exploitation des travailleurs. Ce capitalisme est en train de se transformer en une myriade de sociétés toujours plus anonymes et d’entreprises sans ouvriers. Ces « entreprises » vont donc sous-traiter la production concrète à des sous-entreprises de production de biens, dans lesquelles les cadres feront le sale boulot de « gérer », c’est-à-dire exploiter, le personnel employé et ouvrier, qui sera de plus en plus précarisé.

Ainsi, on dilue les responsabilités, on rend toujours plus anonyme le pouvoir et on se cache toujours plus derrière cet écran de fumée organisationnel. Ce capitalisme devient essentiellement, voire exclusivement, financier. Il dicte les taux de rendement financier à ses sous-traitants et à ses collabos.

Le passage du capitalisme classique à ce capitalisme financier, commencé dans les années 1973-1975, s’est accéléré à partir de 2007. Le capitalisme financier exploite essentiellement des contrats, des conventions financières et des crédits, dont beaucoup sont les emprunts d’État.

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Ces trafics financiers, y compris les « marges » de profits en provenance des sous-traitants, produisent l’essentiel des profits. Les énormes masses financières concernées doivent tourner le plus vite possible, grâce à la multiplication des échanges marchands internationaux, pour accroître encore les profits. Les capitalistes inventent toujours plus d’officines de crédits aux particuliers, d’organismes intermédiaires de transport et de distribution, pour ne laisser aucun espace à un autre système.

D’autre part ces mêmes pôles financiers s’enrichissent aussi grâce aux emprunts des pays pauvres, emprunts organisés sous l’égide et les exigences du FMI, ce qui aboutit au fait que ces pays ne peuvent annuellement que payer les intérêts des emprunts, sans jamais espérer rembourser le capital emprunté. Ce sont de véritables mafias légales qui se sont mises en place au niveau mondial et ce qu’ils appellent la « mondialisation » n’est en fait que l’internationalisation de l’accaparement et de « l’anonymisation » des capitaux (voir les études du CADTM à Genève sur ce point).

L’exploitation des ressources de la planète et l’impérialisme

Dans les premières analyses du capitalisme de 1830 à 1914, le capitalisme était dénoncé essentiellement pour son exploitation du travail humain. Peu d’analyses montraient qu’il ne pouvait fonctionner sans l’exploitation des ressources de la planète. Les croyances de l’époque laissaient penser que les ressources naturelles étaient infinies. De plus l’idée était : « Si on ne trouve pas ce qu’on veut dans les pays industrialisés, qu’on aille le prendre ailleurs. »

Époque « bénie » des colonisations, avec les trois M, Militaires, Marchands et Missionnaires. C’était ce que pensaient aussi beaucoup de militants et militantes de gauche de l’époque. Inutile de condamner les perspectives étroites qui étaient les leurs alors, mais on peut se demander en quoi, aujourd’hui, les militants et militantes de gauche devraient persévérer ces étroitesses de vue ?

Dans ce siècle 21, les colonisations se poursuivent, déguisées parfois, mais tout aussi sauvages (on ne va pas développer ici, voir les sites notamment de Survie et de Sortir du colonialisme) Les exemples récents concernent l’« achat » des terres rares d’Afrique par la Chine, l’Inde, les États-Unis, l’Australie (par ordre d’importance). Il y a aussi les politiques capitalistes extractivistes et les luttes des révolutionnaires en Amérique du Sud contre ces politiques. La lutte anticapitaliste aujourd’hui n’intègre pas assez cet aspect impérialiste. Si certains ont l’impression que le colonialisme a disparu avec les colonies, il n’a pas disparu pour les peuples colonisés !

Dans les pays développés, des voix s’élèvent de plus en plus contre cette exploitation de la planète et contre les discours officiels sur les « bienfaits de la croissance ». De nouveaux militants et militantes existent alertent sur les signes avant-coureurs de la dégradation de la planète.

Entendez-vous les quolibets, les insultes, avec lesquelles beaucoup de militants de gauche, forts de leurs analyses, ont accueilli « celles et ceux qui veulent revenir à la bougie » ? Ils et elles ne parlent que de nucléaire, d’OGM, d’abeilles, de baleines. On leur reproche d’être enfermés dans leurs « spécialités »… Il ne s’agit pas ici des écolos de gouvernement, mais bien des écologistes de base, ceux qui commencent à participer à des actions contre le système : ils évoluent vite vers des thèmes qui interrogent : décroissance, changer de climat, circuits courts entre producteurs et consommateurs, lutte contre le capitalisme vert.

Les capitalistes traient les consommateurs et les emprunteurs comme des vaches

Ce que le capitalisme du siècle 21 ne peut capter par la seule réduction des salaires, il l’obtient en pressurant le consommateur. Chaque employée, chaque ouvrier, chaque personne précaire est obligée, pour survivre elle et sa famille, de consommer dans ces bazars que sont les soi-disant « super » marchés.

La multiplication de la grande distribution devait garantir la concurrence. De fait, les accords secrets entre ces entreprises limitent la concurrence au minimum, juste un peu pour paraître acceptable aux yeux des contrôleurs, des lois antitrusts et des gouvernements. Malgré les textes et les discours de l’Union européenne sur la « concurrence non faussée », depuis le début de ce siècle, c’est la concurrence faussée qui règne.

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L’exploitation des consommateurs prend une nouvelle tournure dans les années 1990 avec l’accélération de la vitesse d’obsolescence des techniques et des produits.

Cette exploitation des consommateurs prend une nouvelle tournure dès les années 1990 avec la mise en œuvre par les capitalistes d’une accélération de la vitesse d’obsolescence des techniques et des produits. Il ne s’agit plus seulement de produire des biens et services nécessaires, mais de changer la mentalité des consommateurs. Il faut les amener à penser en termes de mode, les amener à se passionner pour les technologies nouvelles (ce que font plus aisément les hommes que les femmes), à aimer ce qui est rapide, fast, à aimer ce qui nécessite une réponse et une satisfaction immédiates.

Les consommateurs et consommatrices vont se laisser séduire par tout ce qui est « in », à la mode, tout ce qui est le « must », le dernier cri. On imagine-là le rôle des publicitaires et des médias sur les mentalités, médias financés par les publicités des entreprises. Les consommateurs ne savent pas ou ne veulent pas savoir que ce qui est vendu comme le dernier cri, en matière d’appareils techniques notamment, est démodé dans les laboratoires des industriels, où est déjà mis au point le « dernier cri » suivant. Ils ne savent pas non plus qu’il existe des usines de fabrication de « soldes » dans lesquelles des ouvrières (majoritairement des femmes) de l’Inde, de Turquie, du Bengladesh, de Tunisie, de Chine, sous-payées et maltraitées, triment pour survivre.

Mais comment faire pour que des personnes, qui ont des revenus stagnants et un pouvoir d’achat toujours plus faible, consomment davantage ? Il faut développer chez les consommateurs l’envie d’avoir dès aujourd’hui ce que l’on payera demain. Les sociétés financières développent donc à outrance les modalités et sociétés de crédits à la consommation et autres. Autant de laisses que les capitalistes mettent au cou des emprunteurs. (comment ensuite pourraient-ils faire grève ?)

Les capitalistes exploitent aussi les contribuables

Le capitalisme du siècle 21, non content d’exploiter le travail de tous les travailleurs et travailleuses, non content d’exploiter la planète, non content d’exploiter les consommateurs et les emprunteurs, exploite aussi les contribuables. Ces employées, ces ouvriers sont aussi de plus en plus des contribuables exploités, du moins celles et ceux qui payent des impôts. Les capitalistes, qui sont les premiers à critiquer l’État et ses réglementations, sont ceux qui profitent le plus de subventions affichées ou déguisées de toutes les organisations territoriales de tous niveaux.

Les baisses d’impôts et les diminutions des cotisations sociales patronales de la part de l’État central se chiffrent en milliards chaque année. Les subventions obtenues par les entreprises privées auprès des régions et des conseils départementaux, avec ou sans chantage à l’emploi, sont autant de ponctions dans l’argent versé par les contribuables (peu de statistiques globales sur les sommes ainsi détournées). En plus de subventions en espèces, les capitalistes obtiennent beaucoup d’avantages en nature. Des exemples à foison !

Une partie des impôts engraisse les capitalistes, petits et grands. Et les élu-e-s sont toutes et tous complices de ce transfert de fric des caisses publiques vers les poches privées, avec ou sans corruption, pots de vin et rétrocommissions.

Mais la lutte essentielle pour les capitalistes porte sur la privatisation de tous les services publics. Avec l’aide de la législation de l’UE, les services publics sont démantelés les uns après les autres et leur « gestion », lucrative et elle seule, est ensuite confiée à des entreprises privées : énergie, eau, poste, téléphonie, cliniques privées qui fleurissent au détriment de l’hôpital public, auquel on laissera la santé des pauvres. Écoles, culture et loisirs suivent le même chemin. À terme c’est la fin de l’État-Providence et des services publics.

Face à ce capitalisme protéiforme, changer de militantisme ?

Ce qui nous distingue aujourd’hui des courants de la « gauche » traditionnelle, c’est que ces derniers veulent adapter les humains au système capitaliste. Les socialo-libéro-centristes croient encore à l’humanisation du capitalisme. Ils font montre en ce sens d’une méconnaissance crasse du capitalisme du siècle 21, qui n’est que recherche absolue et opportuniste des plus grands profits possibles dans ces cinq champs d’exploitation, quels qu’en soient les dégâts faits aux humains et à la planète.

Les courants anarchistes et libertaires veulent eux changer de système économique. Cependant le fait de crier « anticapitalisme » suffit-il ? Ni dans les objectifs, ni dans la forme des organisations, ni dans une autre définition du militantisme, on ne trouve pris en compte ensemble ces cinq champs de luttes. De plus, et à l’exception du premier champ qui constitue évidemment un socle plus classique pour la gauche, ces cinq champs ne sont pas reliés entre eux. Pourtant, ce sont ces liens qu’il faudrait travailler sur les terrains de lutte, si nous voulons un jour être en mesure de changer le système économique et social. Sinon, crier seulement son « anticapitalisme » restera inutile.

Jaèn Boyer (anarcho-syndicaliste à Perpignan)

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