Le sang, la colère et le printemps

20 mars 2016 Par Pascal Maillard Blog : POLARED – Petit observatoire des libertés académiques. Recherche, Enseignement, Démocratie

Le gouvernement Valls veut-il un nouveau Rémi Fraisse ? La répression policière qui s’est abattue cette semaine sur la jeunesse de France met à nu un pouvoir qui a fait le choix de l’intimidation et de la radicalisation, aux seules fins de discréditer la contestation de la loi « Travail ». La responsabilité des présidents d’université est aussi lourdement engagée.

Avez-vous vu saigner la mûre dans les haies ?

Victor Hugo, Les Châtiments

Le sang a coulé dans les amphis et sur les parvis des facultés, à Strasbourg et Paris, dans les rues de Marseille, et de Nantes aussi. Et à Caen, Rouen, Metz, Lyon, d’autres villes encore. Quelques gouttes, parfois des taches, qu’on peine à effacer. Le sang du 17 mars, les hématomes et les os brisés resteront longtemps dans la chair et la mémoire des lycéens et des étudiants matraqués. Pourtant, les grands médias, les télévisions, la presse nationale en parlent à peine. En ce jour de printemps, Salah Abdeslam continue de faire les unes. Le terrorisme est un peu plus chaque jour le voile médiatique dont on recouvre l’état d’urgence et l’action de l’État.

Mais la mémoire numérique ne s’efface pas. Du moins pas encore. Des témoignages sont diffusés sur les réseaux sociaux. Photos, textes et vidéos circulent. Voir ici et pour l’évacuation de Tolbiac, et là encore pour un compte-rendu de la comparution immédiate de quatre jeunes arrêtes le 17 mars. Voir ici la charge violente des CRS sur le campus de l’université de Strasbourg (5 blessés dont une lycéenne). Le site On vaut mieux que ça propose une synthèse, Mediapart rend compte des circonstances de l’évacuation du site de Paris 1 et le SNESUP-FSU dénonce des « répressions policières inadmissibles », en mentionnant l’arrestation d’un étudiant dans les locaux de Lyon 2. Il a été remis à la police par des agents employés par l’université, sur ordre du président. Le seul délit de cet étudiant : quelques graffiti dans les toilettes…

Tolbiac fut un guet-apens. Strasbourg une décision irresponsable. Et Lyon 2 une collaboration inique. Partout la même répression, l’arbitraire et la violence pure d’un État qui sait ce qu’il fait en le faisant.

Trois constats s’imposent :

1. La violence délibérée et disproportionnée des forces de l’ordre : des dizaines de blessés en une seule journée, déploiement de moyens considérables (200 CRS et 50 membres de la BAC à Tolbiac pour une trentaines d’étudiants dans un amphi).

2. La participation active de plusieurs présidences et directions d’université, en dépit des franchises universitaires qui encadrent strictement l’intervention des forces de l’ordre sur les campus : seul le président peut l’autoriser.

3. La systématicité et la coordination des actions de répression à l’occasion d’une même journée de mobilisation nationale des organisations de jeunesse contre la loi « Travail ».

Une question découle naturellement de ces constats : un ordre politique de ferme répression a-t-il été donné ? Tout porte à le croire. Si oui, qui a donné cet ordre ? La question vise le sommet de l’Etat.

Mais la faute n’est pas que politique. Elle est aussi académique et éthique. Par leur décision de fermeture systématique des bâtiments et l’empêchement de la tenue des AG, les présidents d’université portent une responsabilité directe dans la répression de la jeunesse et les blessures qu’elle a subies. A supposer qu’ils aient agi sous la pression d’un ministère ou d’une préfecture, ceci ne les dédouane en rien de leur entière responsabilité : eux seuls sont habilités, en vertu des franchises universitaires, à autoriser ou demander l’intervention des forces de l’ordre. Que l’on réfléchisse bien à cela : ce sont des universitaires qui ont décidé, in fine, de réprimer les étudiants de leur propre université, alors même que leur rôle est d’en assurer la sécurité et de les protéger. Qu’il s’agisse de Paris 1, Lyon 2 ou Strasbourg, c’est une entité politique unique qui a agi, une sorte de monstre à deux têtes. Les présidents portent sur leur main gauche le sang des étudiants alors que la main droite du pouvoir politique en est maculée. Cette collusion laissera de traces ineffaçables dans la mémoire des étudiants et dans les annales de l’université française.

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Université de Strasbourg, parvis de la Faculté de droit © Bob Ramsey
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Université de Strasbourg, lycéenne blessée à la tête. © Bob Ramsey

Prenons un peu de recul. On le sait, il est dans l’essence du néo-libéralisme de Valls de promouvoir toutes les formes de gouvernementalité autoritaire. Les élites administratives, et bien sûr les présidents d’université, s’y sont massivement convertis depuis l’instauration de la loi LRU qui leur confère des pouvoirs considérables. La gouvernementalité autoritaire de Manuel Valls veut faire passer l’état d’urgence permanent pour une conséquence naturelle du terrorisme, alors qu’il est une pure création de l’Etat qui l’institue en coup d’État permanent contre les libertés fondamentales. Elle instrumentalise quotidiennement les médias en vue de produire une intériorisation de la peur et de la violence, une aseptisation des consciences, une annihilation de toute forme d’intelligence critique, et en définitive un affaiblissement des esprits et une déshumanisation qui provoquent leurs ravages du petit chef de bureau jusqu’au sommet de l’État, en passant même par une partie des corps intermédiaires.

Du monde de l’entreprise aux services publics, la gouvernementalité autoritaire s’insinue partout, modèle nos vies, nos manières d’agir et de penser. Mais elle n’apporte que concurrence, individualisme et souffrance. Elle est une machine à faire plier les échines et à tuer toute forme d’espoir. C’est le chômeur qui cherche désespérément un emploi et qu’on humilie. C’est le jeune qui aspire à une formation et qu’on sélectionne administrativement ou financièrement dans son parcours universitaire. C’est le précaire qui lutte et auquel une nouvelle loi « Travail » promet une exploitation sans fin. La vie précaire et nue d’une jeunesse sans-emplois crie aujourd’hui sa révolte devant les portes cadenassées du pouvoir et des universités. La mécanique froide de l’État lui répond par la matraque et le sang.

L’état d’urgence a légalisé la violence de l’État. Aucun mouvement social, ni aucune contestation où il ne produise ses effets : intimidations, arrestations, condamnations et répression ouverte. Que veut donc ce pouvoir? Instrumentaliser le maintien de l’ordre pour provoquer la haine et la radicalisation, qui conduiront à des désordres plus grand, et dans lesquels il trouvera la caution politique à de nouvelles répressions ?

Que vaut donc un État qui réprime sa jeunesse dans la violence ? Que vaut un président d’université qui demande une intervention des forces l’ordre en ayant conscience qu’il fait courir des risques aux étudiants dont il a la responsabilité ? Un président qui protège les biens avant les personnes ? Ou plutôt qui prend prétexte de « dégradations matérielles » possibles pour faire le choix de la très probable « dégradation physique » de jeunes personnes ? Comment peut-on mettre en proportion l’état d’une chaise et une vie humaine ? Comment peut-on accepter qu’on matraque la tête et les mains d’une jeunesse qui veut étudier ? Ce pouvoir n’est pas aveugle. Il est simplement cynique et abject. Froid et calculateur. Mortifère.

La vie est ailleurs. La vie vaut mieux que ça ! Elle est dans cette jeunesse pleine d’espoir et de révolte. Elle est dans l’intelligence collective et critique qui déconstruit la loi « Travail ». Elle est dans la création, l’invention libre de soi, dans la culture, les arts et les sciences. Une matraque qui s’abat sur la tête d’un étudiant, d’une lycéenne, dans l’enceinte d’une université, c’est la négation même des valeurs de l’université, la négation de l’humanité et de l’intelligence. La négation de la vie.

Quand un pouvoir cherche sa survie dans le cercle sans fin de la provocation-répression, il n’est pas loin de sa propre fin. Aucun pouvoir ne peut arrêter la force d’un printemps qui naît. Ce ne sont pas quelques entailles qui empêchent la sève de monter dans un arbre. La jeunesse est une force qui va. La goutte de sang qui tombe est une colère qui monte. Ceux qui entendent la briser parce qu’ils n’entendent pas, ne savent pas ce qu’ils font.

Ils veulent criminaliser les étudiants et la jeunesse ? Criminalisons leur répression ! Saisissons les tribunaux, la Cour Européenne des Droits de l’Homme, le Défenseur des droits. Déposons des recours au TA contre les décisions des présidents de faire appel aux forces de l’ordre ! Et surtout que les victimes des violences portent plainte contre la police !

Ils ferment les bâtiments des universités pour nous empêcher de tenir nos réunions et nos AG ? Tenons nos réunions et nos AG sur les parvis et les places, dans les parcs et les rues, sur l’herbe et les pavés!

Ils nous expulsent de nos lieux d’étude et de travail ? Rendons-nous dans les entreprises, les usines et les administrations pour expliquer aux salariés la vraie nature de la loi « Travail » !

Ils manipulent les médias et distillent des mensonges à longueur de journée? Témoignons sur les réseaux sociaux, mettons en ligne films et photos, montrons les faits, apportons des preuves, rétablissons la vérité !

Ils cherchent la provocation et la violence pour nous discréditer aux yeux de l’opinion? Répondons par le calme, la non violence, l’organisation et la détermination !

Pascal Maillard

PS : Mes remerciements au photographe Bob Ramsey pour l’autorisation de reproduire ses photos.

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Je dédie ce texte à Sylvie. La vie l’a quittée en ce jour de printemps. Le monde du travail ne lui a pas rendu tout ce qu’elle lui a donné. Je pense à ses filles et je leur dis :

Sylvie est une fleur de feu qui pousse entre les pavés.


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Université de Strasbourg, Etudiants devant la Fac de droit. © Bob Ramsey
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Université de Strasbourg, Danse des étudiants devant les CRS. © Bob Ramsey

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Université de Strasbourg, manifestants devant Le Patio. © Bob Ramsey

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