Le retour de l’Inquisition du Moyen-Âge

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En direct avec Rachid Zouhhad
L’affaire de l’IUT de Saint Denis a défrayé la chronique. La grosse caisse des tambours de la pensée unique a résonné comme jamais : il y a un complot islamique à l’IUT de Saint-Denis ! Manuel Valls a même décoré le courageux dénonciateur sur le front des troupes néocoloniales. La Libre Pensée suppose deux choses : être libre et penser. Au nom de ce principe, elle donne la parole à une des victimes de ce procès de Moscou à Paris. Chacun pourra ainsi être juge.

La Raison : Rachid Zouhhad, pourriez-vous vous présenter ?

Rachid Zouhhad : Je suis enseignant-chercheur en gestion. J’ai 57 ans, cela fait près de 30 ans que je suis dans l’Education nationale et l’Enseignement supérieur. J’ai enseigné dans des collèges et lycées de la Seine-Saint-Denis et suis actuellement en poste à l’IUT Saint-Denis qui relève de l’Université Paris-13 Villetaneuse. Je suis représentant syndical FO. J’ai siégé dans plusieurs instances universitaires locales et nationales.

LR : Pourriez-vous nous raconter l’incroyable procès médiatique, administratif, politique qui vous a été fait ?

RZ : J’ai été élu par mes collègues chef du département Techniques de Commercialisation (qui forme les étudiants en deux ans dans les domaines technique et professionnel) en 2012. C’était le département TC le plus important de France par ses effectifs. Leur confiance m’a été renouvelée dans une élection en janvier 2014. A partir de cette date, j’ai commencé à être l’objet d’accusations graves, mais confinées à l’IUT. Très peu de temps après, en mars 2014, j’ai été relevé de ma fonction de chef de département par un vote du Conseil d’Administration de l’IUT Saint-Denis, sans qu’aucun document n’ait été soumis à cette instance. A cette occasion, j’ai été accusé, entre autres, d’avoir détourné près de 200 000 euros.

Dès le mois de mai 2014, la presse a relayé ces accusations en indiquant mon nom et mon prénom et en affichant ma photographie dans certains cas. On n’a pas manqué d’y ajouter certaines accusations plus graves encore : sexisme, communautarisme, clanisme et lien avec une association d’étudiants qualifiée d’islamiste. Et comme si cela ne suffisait pas, les plus grands médias nationaux (presse, radio et télévision) ont ajouté des accusations de menaces à l’égard d’un Président d’Université, sa Vice-présidente et une collègue ; une réputation de coureur de jupons et d’alcoolique.

Enfin, l’Inspection Générale de l’Administration, de l’Education Nationale et de la Recherche (l’IGAENR) a repris presque l’ensemble de ces accusations dans un premier rapport, sans s’encombrer de la nécessité d’apporter un début de commencement de preuve. J’ai répondu aux accusations de l’IGAENR en 46 pages et plus de 180 pièces justificatives. La presse a continué à se référer au rapport accusatoire de l’IGAENR et à ignorer mes réponses.

J’ai été convoqué par la police en avril 2014 relativement aux menaces alléguées, car à cette date, il n’y avait pas encore d’allégations d’agressions. J’ai été mis en garde à vue en mai 2015 avec un collègue dont le nom laissait à penser qu’il devait être un peu « mahométan », pour reprendre l’expression utilisée par Montesquieu dans « Les lettres persanes ». Nous avons été libérés sans qu’aucune charge relative aux agressions ou menaces n’ait été retenue contre nous. Le même mois, nous avons été déférés devant le Conseil disciplinaire de l’Université Paris-13, avec un troisième collègue, dont le nom fleurait également bon le « mahométan ». C’est triste à dire, mais cela correspond à une réalité objective. Ce collègue a été relaxé. L’autre collègue et moi-même avons été blanchis des accusations les plus graves y compris celle de détournement des fonds.

Pour avoir une idée du décalage entre les accusations qui ont fleuri dans la presse et celles qui ont justifié les sanctions prises à notre encontre par le Conseil disciplinaire de l’Université Paris-13, je me contenterai de préciser que dans le cas de mon collègue, il était initialement et entre autres accusé de « violences et menaces de mort à l’égard de ses collègues ». En fait, cette accusation avait donné lieu à des plaintes au commissariat de Police en mars 2014. Elles ont été classées par le Procureur de la République un peu plus d’un mois après leurs dépôts. Ce fait a été signalé à l’IGAENR, qui l’a ignoré, reprenant ces accusations à l’égard de ce collègue.

LR : Où en êtes-vous aujourd’hui ?

RZ : Aujourd’hui, il n’y a guère qu’une plainte de l’association ANTICOR déposée à mon encontre et visant également d’autres collègues, sur dénonciation de M. Mayol (Directeur de l’IUT et source principale d’information de la presse comme l’ont clairement et distinctement affirmé certains médias). Cette plainte, largement relayée par les médias, nous impute d’avoir détourné les fameux 200 000 euros. Hormis le fait que cela est impossible pour qui connait le fonctionnement des IUT, il y a maintenant des preuves fournies par l’instruction du disciplinaire de l’Université qui démontrent l’absence de tout fondement d’une telle accusation. En revanche, mes collègues et moi-même avons déposé plusieurs plaintes contre les personnes et les médias qui sont à l’origine ou ont relayé les dénonciations calomnieuses, diffamations ou qui se sont commis dans de faux témoignages. De même, il y a eu un signalement au Procureur de la République par l’un de mes collègues relatif à une suspicion de prise illégale d’intérêt. Elle a d’ailleurs été retenue par l’Université dans les motifs du déferrement au disciplinaire de M. Mayol et semble être l’objet d’une instruction en cours.

Cette dénonciation n’est évidemment pas anonyme, car nous n’adhérons pas à ce type de procédé. Ces précisions ne doivent pas faire oublier que j’ai été le premier à rappeler la nécessité du respect de la présomption d’innocence dont devait bénéficier M. Mayol (voir lpld.fr). L’oubli de ce droit dans notre cas ne doit pas nous conduire à reproduire cela pour autrui.

Enfin, j’attends, comme mes collègues, les conclusions du nouveau rapport de l’IGAENR (l’Inspection Générale de l’Administration, de l’Education Nationale et de la Recherche) qui portent sur le malaise des personnels de l’IUT à la suite des événements rappelés précédemment. Nos étudiant(e)s ont également souffert de l’image ainsi donnée à l’IUT dans la presse. Il en a résulté une fonte de l’effectif total de l’IUT de près de 30 % si l’on prend comme référence l’année de la prise de fonction de M. Mayol en tant que Directeur. Dans le même temps, le nombre d’étudiant(e)s est en augmentation sur le plan national. Pour la seule spécialité Techniques de Commercialisation, le recul est de près de 50 % ! Certaines de nos Licences Professionnelles ont vu leurs effectifs divisés par 3 !

LR : Vous demandez la réhabilitation collective de toutes les victimes de ce procès en sorcellerie. Que voulez-vous précisément ?

RZ : Sur un plan général, je souhaiterais simplement que cette expérience serve à toutes et tous. On ne s’imagine pas le torrent d’insultes, d’injures et de propos xénophobes qui ont envahi l’internet et qui constituent déjà en tant que tels une punition. Je souhaite également que l’on n’instrumentalise plus des étudiant(e)s d’une vingtaine d’années, dont nous avons la responsabilité et à qui nous devons apprendre un métier et que l’on doit également aider à se construire en tant qu’adultes.

Pour ce qui concerne mes compagnons d’infortune et moi-même, nous réclamons avant tout et simplement la justice. Qu’elle se prononce sur les faits dont nous avons été accusés et qu’elle reconnaisse clairement notre innocence. Que la justice fasse son travail pour retrouver les responsables de ce que je considère être une cabale. Qu’elle se prononce également sur la responsabilité des inspecteurs de l’IGAENR qui ont relayé et proféré des accusations particulièrement graves, dénuées de tout fondement sérieux et dont certaines ont à mon sens une connotation particulièrement choquantes. C’est d’ailleurs ce qui a conduit l’un de mes collègues à les assigner en justice. Reste à celle-ci à démontrer que le fait d’appartenir à un corps d’inspection n’exonère nullement de la responsabilité de ses actes et propos.

Mes collègues et moi-même attendons de notre Administration qu’elle prenne ses responsabilités en affirmant clairement et officiellement que nous sommes simplement innocents des faits graves qui nous ont été imputés et que tout prouve maintenant qu’ils n’étaient nullement fondés. Que le Ministère de l’Education Nationale, qui nous a complètement ignorés jusqu’à présent, et qui s’est contenté de ne publier que la seule partie accusatoire du premier rapport de l’IGAENR, omettant notre réponse à celle-ci, assume ses responsabilités en affirmant officiellement que nous sommes innocents des faits graves qui nous ont été reprochés.

Enfin, que l’Université et le Ministère assument la responsabilité qui est la leur lorsque des fonctionnaires sont attaqués dans l’exercice de leur fonction. Mes collègues et moi-même, produits du système éducatif public, avons choisi notre métier, l’aimons et n’avons assurément pas été attirés par l’appât du gain ou de salaires à cinq, six ou sept chiffres. Mais il est pour le moins indécent, oui indécent, de laisser peser sur nous des dépenses qui non seulement excèdent largement ce que nous gagnons, mais qui en plus ne sont pas dues aux fautes dont certains et la presse nous a accusés pendant près de deux ans. L’issue de cette rocambolesque histoire est maintenant connue et notre Administration ne se déshonorerait assurément pas de prendre ce coût à sa charge, pour éviter que cela ne constitue le prix de fautes acquitté par des fonctionnaires qui précisément ne les ont pas commises.

Enfin, et surtout, je souhaiterais que l’Administration ne reste plus jamais sans réaction lorsque ses fonctionnaires sont attaqués sur le fondement de leur nom « exotique » ou de leur appartenance réelle ou supposée à une quelconque religion. S’ils sont fautifs, alors ils en répondront naturellement comme tout un chacun devant les instances disciplinaires et la justice.

LR : Souhaitez-vous rajouter quelque chose ?

RZ : Notre principal détracteur a été « décoré » au nom de la laïcité par M. Manuels Valls. Il me semblait comme la majorité de ce pays, que la laïcité c’est d’abord le respect de la liberté de conscience de chacun et de tous. Dans cette triste affaire de procès en sorcellerie, où étaient la laïcité et la liberté de conscience ? A son tour, notre détracteur est au cœur d’une suspension pour manipulation de faits. C’est l’arroseur-arrosé. Il est heureux que dans cette affaire, M. Jean-Loup Salzmann, Président de l’Université, ait réagi avec courage et discernement pour permettre le retour de la sérénité à l’IUT. Il reste maintenant à s’assurer que tel sera le cas.


Ni dieu ni maître, à bas la calotte, vive la sociale !

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