Réactions antifascistes à l’attentat contre Charlie hebdo

8 janvier 2015

Après l’attentat contre Charlie Hebdo, nous publions deux réactions qui, bien que très différentes l’une de l’autre, nous semblent intéressantes dans le contexte actuel : l’une de Yannis Youlountas, militant antifasciste et proche de certains des dessinateurs assassinés hier, et l’autre de Julien Salingue, chercheur en sciences politiques et militant de la cause palestinienne.

Réaction de Yannis Youlountas, membre du comité de rédaction de Siné Mensuel, écrivain, réalisateur :

DÉSOBÉIR, C’EST VIVRE
La fusillade qui a fait plusieurs morts à la rédaction de Charlie Hebdo confirme l’atmosphère liberticide qui, sous de multiples formes, menace actuellement la désobéissance, notamment sacrilège et satirique.
Dans l’hexagone, jour après jour, l’espace se réduit entre, d’une part, des intégristes religieux de tous bords qui descendent dans la rue, les uns après les autres, et menacent diversement nos libertés chèrement conquises et, d’autre part, une extrême-droite qui gagne du terrain et se prétend le rempart contre ce fléau, alors qu’elle est toute aussi nauséabonde et dangereuse.
La confusion ambiante atteint des sommets et chaque nouvelle étape suggère de choisir entre la peste et le choléra, dans la mise en scène d’une guerre de civilisation complètement imaginaire qui contribue à fabriquer la peur, les préjugés et le repli sur soi.
Malgré les circonstances, certains prétendent, en France, que l’anticléricalisme et l’antifascisme sont désuets et passés de mode. C’est faire peu de cas de l’Histoire qui nous a montré que les fantômes meurtriers des intégrismes religieux et de la nébuleuse fasciste tentent régulièrement de faire leur retour.
La laïcité n’est pas un combat d’arrière-garde, ni l’antiracisme une vieille lune au service de quelque pouvoir.
Ce sont des luttes plus que jamais actuelles, qui sont absolument indissociables de celles qui nous opposent à un gouvernement violent et criminel à l’égard de celles et ceux qui désobéissent sur les ZAD et partout ailleurs à ses politiques autoritaires, inégalitaires et destructrices.
Ces luttes sont plus importantes et complémentaires que jamais. Et la désobéissance ne se négocie pas. Même si elle n’est pas du goût de tout le monde. Car désobéir, c’est vivre. Désobéir, c’est défendre le droit de choisir nos vies par-delà les idéologies mortifères qui nous menacent. Désobéir, c’est défendre la vie, parfois jusqu’à en mourir.
Même si je ne partageais pas toujours l’humour et les positions de mes confrères de Charlie Hebdo, notamment dans les conflits qui ont opposé certains d’entre eux à mon ami Siné, j’ai une pensée pour toutes les victimes et leurs proches, notamment mon ami Tignous.
Même décédées, ces personnes restent néanmoins plus vivantes, à travers les décénnies de créations qu’elles nous laissent, que les partisans d’idéologies mortifères qui les ont assassinées.

Réaction de Julien Salingue, chercheur en sciences politiques et militant de la cause palestinienne :

Non, rien ne peut justifier l’attaque contre Charlie Hebdo. Quelle que soit la guerre que l’on mène, les journalistes ne peuvent être des cibles légitimes.
Non, Charlie Hebdo ne l’avait pas « bien cherché ». Quelles que soient les saloperies que l’on raconte, on ne mérite pas d’être tué pour ça. Non, et ce quand bien même les auteurs de l’attaque se revendiqueraient de l’Islam, les Musulmans n’ont rien à voir, individuellement ou collectivement, avec ce qui s’est passé, et n’ont pas à s’excuser d’être musulmans ou à être contraints de se « désolidariser ».
Non, ceux qui ont dénoncé avec raison l’islamophobie de Charlie Hebdo et d’autres médias ne portent aucune responsabilité dans ce qui s’est passé, et n’ont aucune raison de cesser de le faire à l’avenir.
Non, le « modèle français du vivre-ensemble » n’est pas « attaqué ». Ce « modèle » est un mythe destiné à couvrir le racisme structurel à l’oeuvre en France, et personne ne me forcera à le défendre face à la « barbarie » qui le menacerait.
Non, « l’unité républicaine » aux côtés de racistes aux indignations sélectives n’est pas une réponse, et personne ne me forcera à mêler ma voix aux professionnels de la récupération politique et aux amalgameurs en tout genre.
Oui, depuis ce midi j’ai envie de pleurer. De colère et de dépit.
Mais on lâche rien.

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