L’empreinte eau, le nouvel indicateur pour mesurer le gaspillage d’eau douce

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Andrea Barolini (Reporterre)

mercredi 4 septembre 2013

Chacun des aliments que nous mangeons, chaque produit que nous utilisons, requièrent de grandes quantités d’eau pour leur production. Un gaspillage invisible se produit ainsi, alors que la disponibilité d’eau douce va devenir un problème de plus en plus crucial. Le concept d’”empreinte eau” permet de mesurer ces consommations.

Combien d’eau y a-t-il dans nos tee-shirts ?

Si on se pose la question de savoir combien d’eau est nécessaire pour obtenir les produits que nous utilisons, mangeons, consommons, on peut facilement comprendre qu’il en faut des quantités non négligeables pour produire un kilogramme de fruit ou de légumes. Il faut en fait arroser les plantes et les arbres, parfois dans des régions arides. Toutefois, la même réflexion est applicable aux produits qui, apparemment, ne sont pas particulièrement exigeants, mais qu’en réalité sont souvent bien plus « assoiffés ».

Savez-vous, par exemple, quelle quantité d’eau est nécessaire pour produire un steak-haché, un papier, un tee-shirt en coton ? Ou bien pour satisfaire les nécessités d’un individu, d’une usine, d’une communauté, voire d’une nation ?

La réponse est donnée par le concept d’« empreinte eau » (water footprint), c’est-à-dire un indicateur de l’usage direct et indirect de l’eau par le consommateur (ou par le producteur). Elle permet de quantifier une eau qu’on pourrait définir comme « invisible », mais qui existe et dont on devrait tenir compte pour éviter de gaspiller une ressource vulnérable, qui deviendra de plus en plus rare sur la planète.

Chacun de nous, en fait, utilise beaucoup d’eau pour se laver, pour boire, pour arroser les plantes, pour cuisiner. Mais celle-ci n’est que la partie évidente de la consommation, celle qu’on arrive facilement à calculer et qu’on peut aussi économiser.

Au contraire, quand on mange de la viande, il est probablement difficile d’imaginer que la production d’un kilogramme de bœuf a requis 16 000 litres d’eau, que 140 litres sont demandés pour une tasse de café ou que 20 000 litres sont nécessaires pour un tee-shirt en coton.

Aujourd’hui, en fait, la culture et le travail du coton requièrent globalement 256 milliards de mètres cubes d’eau par an. Tandis que pour la production mondiale de viande, l’humanité utilise 2 422 milliards de mètres cubes d’eau par an. 98% de cet usage est lié au fourrage des animaux (principalement pour la culture de l’orge, du foin ou des légumineuses), alors que seulement 1,1% est utilisé pour abreuver le bétail.

Une douche durant vingt-quatre heures pour un kilogramme de thé

Pour se représenter les volumes d’eau impliqués, imaginons laisser les robinets de la douche complètement ouverts une journée entière. Jour et nuit, 24 heures, sans pause. Si on considère un débit moyen de sept à huit litres par heure, à la fin on aura gaspillé 9 000 litres. Exactement ce qu’il faut pour obtenir un kilogramme de thé, en considérant la culture, la récolte et le travail du produit.

De même, pour un kilo de café on a besoin de 20 000 litre d’eau (c’est-à-dire plus de 2 200 caisses de bouteilles de 1,5 litres chacune). L’empreinte eau d’un steak haché a été calculée à 2 400 litres, tandis que pour une paire de chaussures on atteint les 8 mille litres. Tous ces chiffres sont tirés sur le site internet du Water Footprint Network, présentant un outil permettant de calculer l’empreinte eau de nombreuses marchandises).

Ces calculs ont été effectués pour la première fois en 2007 par Arjen Y. Hoekstra, professeur de Gestion Hydrique à l’université de Twente (Pays-Bas), et Ashok Kumar Chapagain, directeur scientifique du Water Footprint Network, association à but non lucratif néerlandaise qui a pour objectif de sensibiliser les citoyens et les administrateurs sur le problème de la consommation d’eau douce.

L’intérêt de l’empreinte, a affirmé Hoekstra, « est lié à l’impact humain sur les systèmes d’eau douce. Les problèmes comme le manque d’eau et la pollution peuvent être mieux compris et abordés si on considère la production et l’offre dans l’ensemble ».

C’est pourquoi le problème doit être analysé dans le contexte de la mondialisation économique : « Beaucoup de pays, a expliqué Hoekstra, ont externalisé sensiblement leur empreinte eau par l’importation des marchandises intensives en eau. Ceci met la pression sur les ressources dans les régions exportatrices, régions où il y a souvent un manque de mécanismes de gouvernance sage et de conservation d’eau ».

L’Europe importe de l’eau en catimini

Pour les grandes entreprises, donc, il s’agit d’épargner, grâce à l’importation, des marchandises qui nécessitent de grosses quantités d’eau douce, en profitant des faibles règles imposées dans certains pays sur leurs ressources hydriques. 84% de l’empreinte eau liée à la consommation de coton dans l’Union Européenne, par exemple, est délocalisée loin de chez elle, en particulier en Inde et en Uzbekistan.

C’est une stratégie de maximisation du profit qui néglige le fait que – selon le dernier rapport des Nations Unies Perspectives de la population mondiale : révision de 2012 -, la population actuelle de 7,2 milliards devrait augmenter de près d’un milliard de personnes au cours des douze prochaines années, pour atteindre 8,1 milliards en 2025, 9,6 milliards en 2050 et 10,9 milliards en 2100.

En outre, la progression sera plus rapide dans les 49 pays les moins développés, lesquels verront leur population doubler, en passant de 900 millions aujourd’hui à 1,8 milliard de personnes en 2050. Cela devrait nous obliger à être parcimonieux, parce qu’il y a le risque concret de voir des conflits se déclencher, surtout dans les pays moins riches en eau douce.

« L’empreinte eau actuelle, explique à Reporterre Renzo Rosso, professeur d’hydrologie au Polytechnique de Milan, peut être améliorée en introduisant deux nouveaux critères : le commerce de l’eau et le stress hydrique. On a besoin, en fait, de considérer la commercialisation de l’eau dans les calculs de l’empreinte eau. Si l’on mange de la viande de bœuf qui provient d’Argentine, on aura importé huit mille litres d’eau. C’est pourquoi il s’agite d’un problème strictement lié aussi au concept de ’circuit court’.

En second lieu, il faut comptabiliser le niveau de stress hydrique de la communauté où on calcule l’empreinte eau. On ne peut pas considérer la consommation hydrique dans les régions riches de la même façon que dans celles pauvres d’eau ».

Pour l’instant, en effet, l’empreinte eau a été calculée seulement au niveau quantitatif pour chaque pays. Les résultats des analyses d’Hoekstra indiquent que les Etats-Unis sont la nation présentant l’empreinte eau par tête la plus élevée, suivis par l’Italie et par la France. « Mais on ne doit pas se concentrer seulement sur les données. Il faut se demander aussi quel type d’eau est utilisée, souligne à Reporterre Francesca Greco, chercheuse au King’s College de Londres, auteur avec Marta Antonelli du livre L’acqua che mangiamo (« L’eau qu’on mange »), parce qu’il y a une eau renouvelable, celle des rivières ou des lacs, et une eau qui au contraire est limitée, comme celle des nappes phréatiques ».

La critique principale qui a été faite à l’actuelle empreinte eau est d’être un indicateur seulement quantitatif : « Si on pense que pour un verre de vin, il faut 140 litres d’eau, nous devons tenir compte que dans certaines régions les vignes n’ont pas besoin d’être arrosées artificiellement. Ou que le producteur italien de pâtes Barilla, par exemple, a déplacé la culture du blé d’une région aride des Etats-Unis vers l’Italie et est arrivé à réduire sensiblement la quantité d’eau utilisée », ajoute Antonelli.

Un autre groupe italien, le producteur de sauces Mutti, a décidé de ne pas limiter son engagement à la simple réduction de la consommation d’eau, mais il a calculé – en collaboration avec le WWF – son empreinte eau totale, voire la quantité présente dans chaque produit, celle utilisée pour la culture ou pour l’emballage.

Et donc, pourquoi ne pas imposer la quantification de la consommation hydrique à chaque industrie ? Il faudrait que les institutions s’engagent pour faire de l’empreinte eau un indicateur clé, capable d’orienter les décisions économiques. « J’ai constaté une compréhension du problème au niveau institutionnel international, mais il est crucial que les élus et les gouvernements soient convaincus du fait que l’eau est une ressource qui ne peut pas être traitée comme un business. Sa gestion doit rester publique, parce qu’il s’agit d’un bien commun. Mais aussi parce que chaque fois que le secteur a été privatisé, on a constaté une détérioration de la qualité du service », ajoute Rosso.

D’ailleurs, la superficie de la Terre est couverte à 70% d’eau, et mers, lacs et rivières en contiennent 1,4 milliards de kilomètres cubes. Mais l’eau douce représente seulement 2,5% (35 millions de kilomètres cubes) du total, dont 70% sous forme de neige ou de glace. Pour l’humanité, donc, il ne reste que 0,7% des ressources hydriques terrestres…

Source : Andrea Barolini pour Reporterre

Image : Marcel Green.com

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