Le déficit des intermittents n’existe pas

C’était le 26 juin 2003. Historique. Un protocole d’accord était signé pour réformer le régime spécifique d’assurance chômage des intermittents du spectacle. Cette déflagration dans le monde de la culture en avait entraîné d’autres : l’annulation de tous les principaux festivals, dont le plus célèbre de tous, celui d’Avignon. En cinquante-six ans d’existence, jamais pareille chose ne s’était produite. Même en 68, Jean Vilar avait réussi tant bien que mal à ne pas l’annuler. C’est dire à quel point la blessure était profonde. Les commerçants d’Avignon avaient même porté plainte pour un manque à gagner estimé à 23 millions d’euros. Cette réforme qui allait exclure les plus fragiles d’entre nous avait été décidée pour réduire un prétendu déficit. Cet argument allait être repris partout et par tous, médias et politiques. Certains n’étaient pas d’accord avec la méthode, d’autres critiquaient les solutions, mais tous s’accordaient à reconnaître ce fameux déficit.

Dès juillet 2003, nous, les principaux concernés, avons affirmé, preuves à l’appui, que ce déficit n’existait pas, que c’était de la pure idéologie. Pendant dix ans, nous avons répété les mêmes arguments, nous avons reçu le soutien de nombreux chercheurs, économistes, maîtres de conférence, nous avons convaincu des députés et sénateurs de tous bords politiques, nous avons participé à des dizaines de débats, rien n’y a fait. Le ver était dans le fruit, le déficit admis comme un postulat, impossible à contredire. Pour démonter l’argument, il faut quinze minutes. Ce temps-là, aucune émission de télé ou de radio ne le donne.

C’était sans compter sur la puissance d’Internet. Nous avons donc décidé de poster deux films (1), Ripostes numéro 1 et Ripostes numéro 2, pour expliquer encore et encore. Le premier, pour démontrer que le déficit n’existe pas ; le deuxième, comme un droit de réponse aux nombreux reportages sur les intermittents du spectacle. Ces deux films ont connu un succès inespéré.

C’était le 26 février 2013. Historique. Aurélie Filippetti, ministre de la Culture, et Michel Sapin, ministre du Travail, étaient auditionnés à l’Assemblée nationale devant la mission d’information parlementaire sur les conditions d’emploi dans les métiers artistiques. L’une et l’autre ont battu en brèche l’argument du prétendu déficit en reprenant nos arguments. Notamment en affirmant qu’il y a confusion entre comptabilité analytique et déficit et qu’il n’y a pas lieu d’identifier une catégorie de bénéficiaires : ce serait aussi absurde, a dit Michel Sapin, que de calculer le rapport entre les dépenses et les recettes pour les salariés en CDD, lequel afficherait alors un «déficit» de 5 milliards d’euros bien supérieur à celui des intermittents du spectacle.

Au bout de dix ans de lutte, cette victoire n’est pas mince : deux ministres viennent de se prononcer officiellement contre le discours dominant, l’argument choc qui a justifié une réforme injuste et inadaptée, l’analyse médiocre et infondée produite encore récemment par la Cour des comptes.

Mais cette victoire ne doit pas rester symbolique : le déficit étant toujours l’argument utilisé dans n’importe quel domaine pour réformer à la baisse. Même s’il était fondé, on pourrait trouver des solutions pour améliorer les recettes en cherchant d’autres sources de financement. Non. C’est toujours la variable humaine qui sert d’ajustement. Autrement dit, on rend pauvre des gens qui étaient déjà très fragiles.

Aujourd’hui, plus de 8,5 millions de personnes vivent en France sous le seuil de pauvreté. Cette réalité est indigne d’une des plus grandes puissances économiques du monde. Aujourd’hui, plus d’un chômeur sur deux n’est pas indemnisé, 80% des embauches se font en CDD, la discontinuité de l’emploi est donc une réalité massive. Aujourd’hui, il est obscène de voir le président (PS) du conseil général de l’Ariège se vanter de faire la chasse aux fraudeurs du RSA quand on sait que le RSA est en moyenne de 400 euros par mois et que l’économie réalisée par le non-recours aux droits (5 milliards d’euros non réclamés pour le RSA) est bien supérieure au coût de la fraude des allocataires. Aujourd’hui, le gouvernement, les politiques, les gestionnaires de Pôle Emploi doivent prendre des mesures urgentes. Il est urgent de trouver des modes de contributions généralisées à l’ensemble des richesses produites, l’emploi qui ne cesse de décroître ne peut plus financer à lui seul la protection sociale. Il est urgent de ne plus considérer la personne en situation de pauvreté ou de précarité comme un profiteur, un tricheur, un fainéant et un assisté. Il est urgent de passer d’une société de défiance à une société de confiance. Encore un effort Mme Filippetti, M. Sapin et vous pourrez tourner le film Ripostes numéro 3 à notre place.

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